Dr. Dre x Jeremy Deputat – Compton


Dr. Dre x Jeremy Deputat – Compton

Compton. Antinomie parfaite du quartier voisin et starifié d’Hollywood, c’est bien sûr cette banlieue de Los Angeles située au sud de la ville, réputée pour la dangerosité exacerbée de son territoire et pour l’influence exercée par les gangs de rue et le commerce prolixe de drogue en tous genres.

De Compton à Hollywood

Compton. C’est là-bas, puisque le climat environnant le favorisait au cours des eighties et le favorise encore en 2015 (cc le dernier album de Kendrick Lamar Pump A Butterfly), qu’a émergé le très belliqueux et amoral gangsta rap, et ses figures les plus excessivement représentatives, de Snoop Dogg à Coolio, d’Ice-Cube, à Kendrick Lamar, de DJ Yella à Tyga. C’est là-bas, aussi, qu’est né et qu’a grandi Andre Romelle Young, aka Dr. Dre.

Compton. C’est donc également le nom du troisième album du dernier né, intervenu 16 ans après le succès planétaire de Chronic 2001 et son armée de tubes plus légendaires les uns que les autres (« Still D.R.E. », « The Next Episode », « The Watcher », « Forgot About Dre », « Bang Bang »…), et à la place de ce Detox que l’on a annoncé longtemps (de 2001 à 2008, tout de même), sans jamais le voir venir, Dr. Dre ayant depuis affirmé ne jamais avoir été satisfait du contenu demeuré dans les limbes de sa discographie. Un album inespéré paru dans la foulée de la sortie américaine de Straight Outta Compton, le biopic produit par Dre et focalisé sur le parcours de N.W.A., le groupe qu’il formait avec Arabian Prince, DJ Yella, Eazy-E, Ice Cube et MC Ren à la fin des années 80 et dont Compton était le champ d’investigation principal.

De l’autre côté du miroir

Compton. C’est naturellement également le sujet de la pochette de cet album surprise (Dr. Dre, suite à une annonce faite par Ice-Cube, n’a prévenu son public que quelques jours avant sa sortie), panorama fantasmé pris depuis une municipalité soudainement semblable à son voisin embourgeoisé d’Hollywood dont on imite et singe ici la célébrissime colline (les lettres de Compton, bien sûr, n’existent que dans l’imaginaire de celui qui a bien voulu les créer…) Une vision des largesses de Los Angeles, mais du côté le plus salasse de son miroir.

Depuis les hauteurs de Compton et son panorama surplombant une large partie de la ville de Los Angeles, on distingue au loin, à l’extrême gauche du cliché, le quartier des affaires de la ville. Voilà une métaphore du parcours de N.W.A., bien sûr, et plus encore de celui du « Doc » lui-même, qui l’aura vu passer en quelques années de résident de « la ville la plus dangereuse des États-Unis » au statut de « premier milliardaire de l’histoire du rap international »(en 2014, Apple rachetait en effet son entreprise de casques Beats Electronics en échange de 3 milliards de dollars, soit 2,2 milliards d’euros). Le rêve américain incarné en un parcours, et en une pochette, pensée par Steve Bernman et photographiée par Jeremy Deputat (que l’on a déjà croisé souvent aux côtés d’Eminem, de 50 Cent, de Todd Terry…) qui dit les ambitions sous-jacentes d’un groupe (N.W.A.), d’un genre (le gansta rap) et d’un homme (Dre) qui, plus que les « barbeques every day » (« Still D.R.E. »), envisageaient plutôt, en regardant de très loin l’immense cité de L.A., l’ascension vers les sommets plus clairement convenus.

Le son

L’album que personne n’attendait plus est finalement intervenu au cœur de cet été 2015, et aura pris tout le monde de cours. Seize ans après Chronic 2001 (ce qui équivaut à un siècle, compte tenu de la vitesse d’évolution du milieu), Dr. Dre revient se frotter à un millénaire qui a digéré depuis un moment ses productions méticuleuses et fanfaronnes, et qui attestera à la suite de l’écoute de ce Compton inégal et un brin dépassé, qu’il a bien su avancer sans lui. Dre a beau s’entourer de figures cultes d’aujourd’hui (Kendrick Lamar) de figures cultes de demain (King Mez, Anderson.Paak), les visages d’hier sont encore trop nombreux (Eminem, Xzibit, Snoop Dogg, Ice-Cube…) pour que l’on puisse voir autre chose ici qu’un jubilé sans trop grande ambition de fin de carrière. Voici venu, effectivement, le moment de se tourner avec nostalgie vers son glorieux passé.


Dr. Dre (Site officiel / Facebook / Twitter)

Jeremy Deputat (Site officiel / Facebook / Twitter / TumblR / Instagram)

Mike Saputo (Site officiel / Twitter)

Dr. Dre, Compton, 2015, Aftermath/Interscope Records, 61 min., Art direction & design par Mike Saputo, Cover concept par Steve Berman, Photo par Jeremy Deputat