Chevalrex – Anti slogan


Rémy Poncet, Français responsable du projet Chevalrex, fait partie de ces artistes, rares, précieux et très doués, capables de se charger non seulement de l’écriture, de la la composition et de l’interprétation des morceaux de ses albums – performance déjà remarquable – mais également de l’illustration d’une discographie qui porte systématiquement la marque de son sceau graphique, et ce depuis la sortie de Catapulte, son premier album, en 2013. Jusqu’ici jamais représenté directement sur les visuels de ses disques malgré le genre auquel se rattache sa musique (la pop plutôt variétale), il franchit ici le cap, avec Anti slogan, sans passer pour autant par la traditionnelle photo de presse, en couleur et en noir et blanc. En voici la raison.

Bonjour Rémy. Si je ne m’abuse, c’est la première fois que tu te représentes sur l’une de tes pochettes de disques. En « musique pop », la démarche est pourtant fréquente. Alors, pourquoi, chez toi, la démarche vient-elle si tard ?

Bonjour ! C’est effectivement la première fois que je figure sur une pochette de façon aussi frontale. Le mouvement s’est amorcé avec Futurisme, mon précédent disque. J’étais déjà sur la pochette à ce moment-là mais de profil et traitée de façon très graphique, en silhouette. Avec Anti slogan, je voulais sortir du bois, m’exposer davantage, littéralement quitter l’ombre de Futurisme pour prendre un peu la lumière. J’ai toujours travaillé autour des masques, des glissements, du vide et de l’absence en terme d’image. Ça m’a toujours intéressé. D’ailleurs, sur la pochette de mon 45 tours Beau perdant que j’avais sorti en 2014, on me voit aussi de face mais mon visage est absent, situé juste à l’endroit du trou dans le carton qui laisse apparaître le macaron du vinyle. Anti slogan est le premier album où le portrait s’impose, sans détournement.

L’album se nomme Anti Slogan, et c’est donc ton visage, de face, qui est représenté. Pour quelle raison ?

Les premiers mots du disque sont « Moi face aux mouvements du cœur, moi face au monde et ses lueurs ». C’est un disque où je me situe, j’essaie de coïncider avec mes envies, une tentative de faire dévier un peu le cours des choses. Du coup, naturellement, comme je disais précédemment, le besoin de m’exposer davantage est apparu. Le titre Anti slogan désigne le nœud face auquel j’étais. J’avais clairement envie d’un disque plus pop, plus lumineux, plus ouvert et direct que le précédent mais mon écriture est fragmentaire. Beaucoup de choses apparaissent de façon accidentelle, l’inconscient joue une part importante dans le processus. Ce sont du coup des choses assez intimes qui arrivent sur la table de travail et c’est cette confrontation qui m’a intéressée, ce jeu entre le singulier et l’universel. Anti slogan ne pouvait être que le visage d’un homme, sans posture particulière.

Y a-t-il, de ton point de vue, une continuité, une filiation, un lien entre l’ensemble des pochettes de ta discographie ?

Les pochettes ont toujours été le reflet des disques, il y a fatalement un lien qui est la vision graphique que j’ai mais je trouve parfois plus d’écho dans certaines pochettes que je réalise pour d’autres qu’entre celles que je fais pour Chevalrex. Je trouve en tout cas qu’elles ont le mérite de raconter vraiment bien la dynamique qui est la mienne depuis trois disques. Avec Catapulte, le disque était sorti avec deux-cent pochettes uniques différentes (réalisées en collaboration avec mon ami artiste belge Benjamin Demeyere et Arnaud Jarsaillon + François Gaillard de Brest Brest Brest), le disque était là mais pas mal de choses s’étaient articulées autour de l’image (expo…). Avec Futurisme, j’ai davantage assumé mon travail de musicien en apparaissant en creux sur la pochette mais c’est avec Anti slogan que les choses s’éclaircissent. Les polarités se sont inversées, je suis désormais un musicien qui fait des images plutôt qu’un graphiste qui fait des musiques.

Chevalrex – Catapulte (2013)

C’est toi qui réalise les visuels de ton propre projet. Te verrais-tu, dans un futur proche ou lointain, laisser les rennes à un autre ?

Pour l’instant, je suis encore très attaché à cette part du travail, ça représente un vrai plaisir de penser un objet de A à Z. D’ailleurs, en tant que graphiste, je ne fais plus que des pochettes de disque. Les premières images que j’ai faite adolescent étaient des pochettes, pour des CD-R, des K7… C’est une évidence que c’est là où ça vibre pour moi. Je n’exclus pas des collaborations futures mais pour l’instant, même s’il y a plein d’artistes qui m’intéressent, je n’ai pas ressenti le besoin.

Tu illustres aussi le projet d’autres, comme celui d’H-Burns notamment, dont on avait déjà parlé. Quelle différence entre le fait de bosser pour d’autres, et bosser pour soi-même ?

Entre les pochettes que je fais pour moi, pour d’autres ou pour le label dont je m’occupe (Objet Disque), je ne fais pas vraiment de distinction. La base étant toujours une écoute approfondie des disques pour essayer d’être en phase, d’apporter un truc et proposer une forme complémentaire aux musiques. J’arrive peut-être plus vite à des idées concrètes sur le projet des autres. Avec mes disques, la maturation est souvent assez longue. Mais globalement, je ferais plutôt une ligne de séparation, en terme de dynamique de travail, entre les disques traversés par une idée particulière, animés de quelque chose et les autres. Mon travail commence toujours par identifier cette idée en écoutant, en parlant avec les groupes… Quand cette idée apparaît, j’essaie ensuite de la servir le mieux possible. Quand elle n’apparaît pas et qu’il n’y pas grand-chose à gratter, c’est plus compliqué. La crainte, en musique comme en image, étant toujours pour moi le lieu commun. On en revient d’ailleurs à la question initiale sur le portrait, comment faire une pochette avec un portrait de soi (qui est une forme de lieu commun pour un chanteur) qui ait quelque chose d’intéressant à raconter ?

Le son

Rémy Poncet, le Français derrière le projet Chevalrex, s’est plongé dans la lecture des oeuvres de Simone de Beauvoir au moment où il fallait songer au troisième élément d’une discographie sans accroc (les très bons albums Catapulte et Futurisme). Anti slogan, ce nouveau disque, se trouvera influencé par la pensée de la féministe française et par cette nécessite de se positionner dans un monde où il s’avère complexe de le faire, album lettré et toujours empreint de cette même sensibilité pop. Disque intime, disque ambitieux, disque superbe.

Chevalrex, Anti slogan, 2018, Vietnam / Because Music, artwork par Rémy Poncet

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