Blur x Martin Parr — The Ballad of Darren


Un homme nage dans une piscine à ciel ouvert. Pour seule compagnie : son souffle, qui réagit au mouvement des bras et des jambes, et l’horizon qui se profile, dans un sens comme dans l’autre. Un bord de la piscine. Puis l’autre. On recommence. Concentration maximale, objectif unique. Combien de longueurs, pour cet homme-là ?

Qu’il les fasse vite, qu’il se presse car le ciel, au-dessus de lui, est d’un gris qui annonce l’orage. La flotte est moins pénible lorsque l’on est déjà dans l’eau, c’est vrai. Elle n’est pas pour autant agréable. Pas de maître nageur à son poste d’observation, comme on le constate au premier plan de l’image : espérons que l’orage ne fasse pas trop de remous. Et que ce nageur-là n’en soit pas à son coup d’essai.

Swimming Pool

Où sommes-nous ? Dans la petite ville écossaise de Gourock, à l’ouest de Glasgow, dans une piscine locale bâtie en parallèle de la mer, que l’on voit au troisième plan, surplombée par les montagnes. Un nageur en Écosse alors que la tempête guette ? On aurait pu s’en douter. La photo est signée par le célèbre (et très drôle) photographe anglais Martin Parr, auquel on doit, depuis les années 80, des dizaines de séries significatives de ce qu’est la photographie vernaculaire, un genre photographique consacré au reflet de la vie normale, sans prétention artistique revendiquée. Des photos qui captent l’absurde du réel. Et s’en moque gentiment.

Martin, déjà évoqué sur Néoprisme via les pochettes de The Madcaps ou de Volage, a-t-il photographié Darren, l’homme dont la balade a donné son nom à ce neuvième album studio de Blur, sorti cet été ? Bizarrement, non, rien à voir. Darren étant en réalité le responsable de la sécurité du groupe, Darren   Smoggy » Evans, dont Damon Albarn est si proche qu’il lui dédia un jour une chanson longtemps inachevée. Chanson que Darren a réclamé à Damon pendant des années, afin que le musicien daigne bien, entre les 1 000 projets qui sont les siens — qu’il s’agisse de sa carrière en solo ou de Gorillaz, The Good, The Bad and the Queen, Mali Music, etc.) — vouloir la terminer.

Dans la piscine, c’est donc un parfait anonyme dont on guette la course. Anonyme dont The Gardian avait retrouvé la trace il y a quelques années et qui trouvait dans la nage une manière de se requinquer après un accident de voiture. Relayé par Franceinfo cet été, le nageur Ian Galet rappelait : « il fallait le vouloir pour aller nager dans cette vieille piscine victorienne. Le fond était couvert d’étoiles de mer et de coquillages et la mer s’écrasait sur le bord durant les tempêtes. Un vieil homme m’a dit qu’une fois, un requin avait été rejeté par la mer à côté de lui alors qu’il nageait. »

Les hommes et la mer

Une photo d’autant plus amusante qu’elle rappelle l’attraction du groupe londonien pour les environnements aqueux, et notamment pour les piscines. Les fans du groupe se souviendront ainsi de la cover de l’album Leisure, de 1991, qui reprenait une photo de 1954 signée Charles Hewitt et alors intitulée Glamour in the Swim, et évidemment celle de The Great Escape (1995), par le photographe Tom King.

Sauf que c’est la première fois, si l’on se base sur ces trois images-là, que la tempête guette en arrière-plan. L’orage arrive ? Ce n’est pas une raison, semble dire Blur par le biais de ce cliché clair-obscur, pour interrompre sa course.

Blur, The Ballad of Darren, 2023, Parlophone Records / Warner Music Company, 37 min., photo de Martin Parr.