Mutiny On The Bounty x Kim Keever – Digital Tropics


Mutiny On The Bounty x Kim Keever – Digital Tropics

Afin de servir de toile de fond aux Digital Tropics que le groupe luxembourgeois déploie sur son troisième album, Munity On The Bounty prend une fois encore le parti de la pochette photographique landscape. La démarche était déjà celle de Trials, le précédent album du groupe, tout comme celle du single lié à ce second album (Artifacts). Mais jusqu’alors, on avait favorisé, et contrairement à ce qui nous est proposé ici, la captation visuelle de paysages non-trafiqués par un ajout quelconque. Les visuels d’Artifacts et de Trials, nécessairement liés l’un à l’autre, proposaient en effet un paysage relativement neutre, puisqu’il s’agissait de la vision quasi-documentariste d’une forêt bordée par une chaine montagneuse, alternativement considérée depuis un point de vue aérien (sur Trials) puis d’un point de vue intérieur (Artifacts).

Cette nouvelle pochette du groupe, et si l’on tient absolument à tisser un lien logique avec ses prédécesseuses, pourrait être issue du même paysage, puisque l’on peut y voir, en arrière-plan, des bouts de roches qui pourraient être les mêmes que l’on aperçoit sur Trials. Sauf que de ces roches, comme la lave s’échappe du volcan après avoir trop longtemps fusionné, s’échappe une forme cotonneuse et psychédélique, mélange de cire champignonneuse, de pétales en mutation et de vapeurs prises en flagrant délit de solidification. La progéniture colorisée d’un titan grec informe et d’une barbe-à-papa. Rien de connu.

Cette figure géométrique déviante, et cela explique la raison de son faciès inhabituel et impossible, elle provient du travail de l’artiste new-yorkais Kim Keever, et plus spécifiquement de sa série justement nommée Abstract. Cette série (à mettre en relation avec d’autres, Hawaii et Seascape) met en avant toute l’originalité de composition de cet ancien ingénieur de la NASA, lancé depuis des années dans le façonnage d’un travail obsédé par la question de beauté spontanée, mise en opposition aux discours intellectualisants qui tendraient à délaisser l’esthétisme pur et le beau aux dépens d’un propos vaguement contestataire et interrogateur.

Pollock à scaphandre, Keever laisse ainsi l’art se créer lui-même. Détaché de l’idée de concept, il plonge de la peinture dans de l’eau (d’aquarium), et capte, grâce à l’objectif d’un appareil photographique, l’instant de la diffusion pour créer son sujet. La création éphémère se trouve alors pérennisée, et sujette aux interprétations les plus contraires.

Ainsi, on mettra de côté la mise en relation, pourtant tentante, du visuel de Digital Tropics avec ceux émanant de la discographie de Battles, eux qui accumulent depuis 2001 et la sortie du single Ice Creams les formes aux contours non pas vraiment aléatoires, mais orientées vers la représentation plus ou moins fidèle d’aliments parés à être dégustés (on se souvient notamment des différentes versions de l’album Dross Glop / Gloss Drop). Car les covers de Battles imposent le sujet, et celle de Mutiny On The Bounty le propose.

Le son

Sur Digital Tropics, les Luxembourgeois de Mutiny On The Bounty, l’esprit bien large malgré l’étroitesse de leur pays natif, confondent le post-rock héroïque de Mogwai, le math rock vertigineux des Foals et la pop anguleuse de Battles. Ils y enlèvent les voix pas toujours heureuses qui s’affolaient parfois hier, et se contentent de faire hurler les guitares. Il en résulte le meilleur album d’une discographie complétée ici par un objet studio (le troisième) absolument abouti.

Mutiny On The Bounty (Site officiel / Facebook / Twitter / Myspace)

Kim Keever (Site officiel)

Mutiny On The Bounty, Digital Tropics, 2015, Deaf Rock Records, 46 min, photo par Kim Keever, artwork par Sacha Hanlet