Blanck Mass x Alex de Mora – Dumb Flesh


Blanck Mass x Alex de Mora x Benjamin John Power x Dumb Flesh

« I take of your dress, I shake off your flesh ! », hurle avec une obscénité sans pareille Kim Gordon sur « Shaking Hell », le morceau le plus malin (diaboliquement parlant) du premier véritable album cultissime de Sonic Youth Confusion Is Sex (1983), élément fondateur d’une discographique essentielle que l’on imagine sans mal avoir tourné dans les tympans de Benjamin John Power – et globalement, dans tous ceux qui, après les années 90, auront voulu évoquer d’une manière ou d’une autre le terme de « noisy » – que ce soit pour les besoins de son projet Fuck Buttons (mené avec Andrew Hung) ou ici pour ceux de Blanck Mass.

Chair secouée

Cette secousse violente, viscérale et animale de la chair, B. J. Power paraît en effet l’avoir matérialisé par le biais de la pochette de Dumb Flesh, le second album de Blanck Mass paru chez Sacred Bones Records (le nom du label, aussi, est relativement évocateur…) Ou plutôt, s’il nous est permis d’extrapoler encore davantage, ce visuel obscène et détraqué – qui succède à celui, également flou mais plus neutre du premier album éponyme – ce serait plutôt l’après « Shaking Hell ». Les morceaux de chair se sont percutés, se sont mélangés, et ont finalement fusionné dans une bacchanale obscène et orgiaque. Le chaos règne ici, que l’on se confronte au son ou à l’image, en maître incontesté.

Blanck Mass x Blanck Mass

Car il est évident que la difformité et l’obscénité de ce qui apparaît sous les yeux se trouve être la résultante de ce qui apparaît dans les oreilles. Au regard de la pochette comme à l’écoute de l’album, on croit en effet d’abord avoir des repères. On reconnaît les tracés du corps humain, et la persistance de lignes mélodiques toujours rassurantes. Mais tout ceci est incertain. Car très vite, ces certitudes se trouvent broyées, confrontées aux sens contraires. Et de la même manière que les mélodies subissent les assauts de samples et de rythmiques détraquées et obsessionnelles, on ne sait vraiment s’il faut voir avec l’artwork l’embouchure d’un anus, la représentation d’un coude, le pli de la chair au niveau du bas-ventre, l’arrière d’une cuisse, l’enfoncement d’un nombril ou le devant d’un bras. Sans doute faut-il voir en fait, incohérence démoniaque, un ensemble de tout cela. Lorsque le malin habite le corps d’un être innocent dans les films d’angoisse aux tendances exorcistes, c’est de cette forme disparate qu’il se rapproche.

Sport cruel

Ce photomontage (car l’on doute de la véracité d’un tel être fait de chair…), réalisé à quatre mains (la multiplication des membres est donc un leitmotiv…), il est à la fois l’œuvre de Benjamin John Power et d’Alex de Mora, photographe londonien prolifique et éminemment hype de la scène indie internationale, qui lorsqu’il ne shoote pas des groupes de pop (Dum Dum Girls, The Rapture, Chairlift…), de rock (Arctic Monkeys, Mogwai, Fuck Buttons…), d’électro (Jon Hopkins, Mount Kimbie, Ricardo Villalobos…) ou de hip hop (Raekwon, Eve, Mac Miller…), organise dans son planning que l’on imagine surchargé une escapade à Buckingham pour aller y photographier la Reine d’Angleterre elle-même (pour vérifier cette affirmation qui peut paraître absurde, il faut se rendre sur son book, ou jeter un oeil à la galerie ci-dessous).

Et si on doute que ce soient les détails anatomiques de la Reine que l’on retrouve découpés puis regroupés ici (au Royaume-Uni, on parlerait ainsi d’un odieux crime de lèse-majesté…), on conseille en tout cas plus spécifiquement d’écouter « Dead Format » (il semblerait que cette chair informe apparaisse dans le clip) ou plus sûrement encore « Cruel Sport » afin de tenter de comprendre ce qui devait tourner dans la tête des deux artistes au moment de penser la pochette. Partouze cruelle des samples, car partouze cruelle des membres.

Le son

Au post-rock noise et électronique de son projet Fuck Buttons (3 albums, 20 000 décibels), John Power ajoute le post-drone bourdonneur et faussement mélodique de son second projet Blanck Mass, de retour avec un second album bien plus radical et bien plus téméraire que le premier. Éclaireurs IDM (« Loam », « Lung ») et bataillons psyché (« Cruel Sport », « Double Cross »), canonnade bruitiste (« Detritus ») : Dumb Flesh est un album de combat, à placer uniquement entre les oreilles familiarisées avec le goût (jouissif) du sang.

Blanck Mass (Site officielBandCamp/ Facebook / Twitter / SoundCloud)

Alex de Mora (Site officielTwitter / Instagram)

Blanck Mass, Dumb Flesh, 2015, Sacred Bones Records, 53 min., pochette par Alex de Mora