B77 — The Wonderful Labyrinth of the Mind


Tout au bout de l’horizon, un arc-en-ciel, revisité et à la taille imposante, donne au panorama un faciès de grande messe psyché. La vie, qui se déroule sous cet arc-en-ciel de carnaval hippie, est-elle pareille, comme celui qui roucoule tranquillement ici, à un long fleuve tranquille, bordé d’arbres centenaires et parfaitement verts ? On offre sans doute ici une vision de la Suisse et de la région de Fribourg, la ville où ce disque a été fabriqué.

Du bizarre émane le normal

Les deux garçons formant le duo B77 — projet psyché, progressif, pluriel, rock et électronique tendance revival 70’s —, lit-on, mènent une existence absolument « normale » du côté de cette ville moyenne de Suisse, proche de Berne, de Lausanne et du lac de Neuchâtel. L’un « est postier et livreur pour des boulangeries, l’autre travaille sur la stratégie des réseaux sociaux de la Télévision Radio Suisse Romande ». Leur existence, c’est ce panorama, apaisé et serein, au bout duquel pourrait se trouver une station thermale pour classes moyennes supérieures. C’est bien, mais ce n’est pas très rock.

Mais lorsque les fourneaux sont fermés et les posts sur Instagram sponsorisés, Luca Carbone et Léopold Schwaller, loin des fleuves qui roucoulent et des arbres centenaires qui continuent inexorablement à pousser, proposent une version autre d’eux-mêmes. Les voilà arc-boutés, soudain, dans un univers mental immensément complexe, onirique, torturé, vivifiant, sur-réaliste. Merveilleusement labyrinthique ? Ensemble, ils sont les deux moitiés d’un enfant un peu bizarre (car il est vrai que leur musique revendique une part clairement enfantine… et un peu étrange) qui, sous un visage de poupon, dissimule en fait un esprit en pleine ébullition. Ce gosse-là a les yeux d’un cartoon vintage, il émane du crayon de Luca, musicien qui se fait aussi dessinateur lorsque l’occasion se présente.

Et cette machine dans la tête…

« Quand on appuie sur play et qu’on lance la lecture de cet album, il y a tout un univers qui s’ouvre, un monde qu’on a voulu magique, féérique. D’où cette pochette, qui donne l’impression de rentrer dans la tête d’un personnage ».

The Wonderful Labyrinth of the Mind. Pour illustrer ce disque nommé comme un livre qui aurait pu être écrit par un auteur mentalement, en marge — au hasard, par Lewis Carroll —, Luca avait d’abord envisagé la technique du collage (puisque de collages, sonores cette fois, c’est aussi de ça dont il s’agit chez B77), avec en tête, des pochettes de Michael Jackson (Dangerous), d’Oasis (Dig Out Your Soul), de Panda Bear (Person Pitch), de Jai Paul (Sabarimannava). En tête aussi, loin du collage, la peinture minutieuse, narrative et énigmatique du néerlandais Jérôme Bosch, dont le travail avait déjà été réutilisé pour les besoins de la pochette de l’EP Darkside.

Et puis, tout change. Luca : « On a commencé à sortir que notre album prenait une direction assez « enfantine », d’une certaine manière. Et à partir de là, une nouvelle idée a émergé, celle de partir, pour notre pochette, sur un dessin, qui rappelait un peu celles des livres pour enfants. À partir de là, d’autres influences ont émergé, dont les peintures de Henri Rousseau. » L’influence d’autres pochettes de disques, aussi ? « Celle de Kim Crison, de Face to Face de The Kinks avec le papillon qui sort de la tête d’une personne, tout l’univers de Miyazaki ou le Graduation de Kanye West avec le travail de Takashi Murakami. Et puis il y a Yellow Submarine des Beatles, qui reste pour moi le meilleur film d’animation de tous les temps. »

La piste psyché fonctionne et pour B77, le titre final du disque, The Wonderful Labyrinth of the Mind, vient même des premières esquisses de cette pochette. 

« Ça collait au dessin, comme aux paroles de Léopold, très abstraites et qui résonnent avec un questionnement interne, un mal-être, une quête existentielle, une volonté de résoudre des problèmes très complexes de l’esprit. ».

Le fils de Chucky

Et cet enfant, qui disons-le franchement, fait complètement flipper ? « On a voulu ajouter, avec cet enfant, une dimension un peu malsaine. Le personnage paraît mignon au premier abord mais en le regardant de manière détaillée, il paraît plus bizarre. Il a le visage un peu écrasé, des yeux très noirs… Quelque chose d’un peu psychédélique s’en dégage, d’un peu tordu. ». Tordu comme l’esprit de gens très normaux qui, en fouillant à l’intérieur d’eux-mêmes, extraient des idées et des créations pas normales du tout ? Une certaine vision de la création artistique. « Je dirais que sur cet album-là la pochette a presque été aussi importante que la musique. » Parce que les deux, de manière intestine, sont toujours viscéralement liées ?

Le son

Proches du producteur suisse Muddy Monk, via qui ils ont pu rencontrer les acteurs du label Half Awake, les deux membres de B77 puisent dans le rock 70’s et les expériences électroniques diverses pour proposer un disque absolument singulier. Eux pensent à Gentle Giant et nous aussi, le son sonne pop, psyché, onirique, multiple. Un disque dont il est compliqué de sortir indemne et surtout, dont il est compliqué de sortir sans vouloir se plonger, à notre tour, dans les recoins lumineux d’un esprit qu’on ne sollicite sans doute pas forcément assez. C’est qu’il y a toujours la peur, dans les labyrinthes, de se perdre pour toujours. Et d’y croiser, si ce n’est le Minotaure qui vous dévore les os, peut-être le Chapelier Fou qui vous dévore le cerveau.

B77 (Facebook / Twitter / Instagram)

B77, The Wonderful Labyrinth of the Mind, 2020, Half Awake Records, 40 min., artwork de Luca Carbone.