Youssoupha – Polaroïd Expérience


En 2007, au moment de sortir le second album de sa carrière (À chaque frère, Mukongo Business), le rappeur Youssoupha, le polo bariolé et le regard sévère, posait, pour la pochette de son disque, devant une carte revisitée de l’Afrique, qui place alors cote à cote les villes de Pointe à Pitre, d’Abidjan, de Douala, de Dakar, de Brazzaville, de Kinshasa, d’Asnières ou d’Aubervilliers, localisations géographiques curieuses mais non hasardeuses, au service d’un objectif : en Côte d’Ivoire comme en Guadeloupe, au Congo comme en banlieue parisienne, son rap était alors là pour représenter « chaque cri de chaque frère ». Natif de Kinshasa à une époque où la République Démocratique du Congo s’appelait encore République du Zaïre (le pays change de nom en 1997 après le renversement du dictateur Mobutu au profil de Laurent-Désiré Kabila), Youssoupha avait dû immigrer en France avec sa famille, et se retrouver rapidement en région parisienne.

Youssoupha x À Chaque Frère (2007)

« J’suis l’ennemi d’la Françafrique et de ses millions »

Particulièrement attaché à ses racines auxquelles il fera toujours référence au cours des divers disques qu’il sortira, parolier au discours incisif et engagé, antiraciste et humaniste revendiqué (« J’suis l’ennemi de Valls, j’suis l’ennemi de Macron / J’suis l’ennemi de Ménard, je suis l’ennemi de Marion / J’suis l’ennemi de La République de François Fillon / J’suis l’ennemi d’la Françafrique et de ses millions), Youssoupha fera aussi référence à cette terre natale, et à la douleur du déracinement géographique, à travers d’autres pochettes de disques.

Youssoupha x Fifou x Sur les Chemins du Retour (2009)

Deux ans plus tard, avec Sur les chemins du Retour (2009), on le voit en effet pourvu d’un sac de voyage, un avion en arrière-plan, le regard sombre, le tout afin d’imager l’idée de l’exilé contraint de fuir sa terre natale. Signé par le photographe Fifou, l’un des artistes les plus prolifiques et les plus talentueux d’un milieu – le rap français, surtout – au sein duquel il nous affirmait il y a trois ans avoir déjà réalisé plus de 500 pochettes de disques (!), Sur les chemins du Retour était l’une des premières collaborations de Fifou et de Youssoupha. Les deux devaient de nouveau bosser ensemble sur le diptyque, baroque et politique, d’une série (les magnifiques Noir D**** et NGRTD) qui suggérait alors que les anges pourraient très bien avoir, eux aussi, la peau noire.

« La référence à l’Afrique, à la négritude, ce sont des thèmes qui ont toujours été présents chez Youssoupha »

Sur ce projet, Fifou nous disait alors : « La référence à l’Afrique, à la négritude, ce sont des thèmes qui ont toujours été présents chez Youssoupha. Dans ses textes comme dans ses précédentes pochettes d’ailleurs. On a alors eu l’idée de l’ange, dont on a voulu détourner la représentation traditionnelle qui impose la figure blanche aux yeux bleus. Youssoupha me disait que lui, lorsqu’il imaginait les anges, il les voyait noir…»

Ces origines africaines, leitmotiv décidément viscéral dans le parcours de Youssoupha, le rappeur les sollicitent une fois encore avec ce visuel de Polaroïd Expérience, une photo prise par un Polaroïd avant même que le Zaïre ne soit devenu République Démocratique du Congo. Sur « La Cassette », il chante ainsi : « j’ai revu des photos d’enfance, bien avant que j’arrive à France (…) regarde ma pochette, j’suis tout petit avec une grosse tête ».

« Ma drôle de tête sur ma photo aura ma préférence »

Dans la grande lignée de ces rappeurs  qui ont décidé de solliciter l’enfant qu’ils étaient afin de parler de l’adulte qu’ils sont devenus (de Lil Wayne à JoeyStarr, de The Notorious B.I.G. à Nas, de La Caution à Bigflo et Oli, ou, dans un autre genre, Drake ou Rihanna), Youssoupha se souvient d’hier, et l’avoue aussi, démarche singulière et motivée par le fait qu’il n’aura, ainsi, plus besoin de se justifier sur ce choix de visuel, dans un morceau livré en exclusivité pour Spotify : « J’ai fouillé dans les cartons c’était là ma seule idée. » Pas de concept formel à ses yeux derrière cette pochette-là, et surtout, la volonté de ne pas se retrouver de nouveau au sein d’un shooting photo un peu trop long à son goût. «Tout ce monde sur le cœur et les genoux de ma grand-mère. Ma drôle de tête sur ma photo aura ma préférence. Inspiration pour un disque : Polaroïd Expérience. »

 

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Je voulais vous expliquer la pochette de mon album avec une chanson inédite. Voilà. Cc @spotifyfrance

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Le son

Youssoupha qui, plus de dix ans après ses débuts, se met au chant ? Improbable il y a encore quelques mois, l’idée paraît évidente aujourd’hui, tant le rappeur franco-congolais s’avère juste et pertinent dans l’exercice. L’album Polaroïd Expérience profite ainsi de cette nouvelle inédite, et porté par quelques titres qu’il faudra placer très haut dans le Panthéon personnel de Youssoupha (« Polaroïd Expérience », « Devant »…) s’avère comme l’un des tous meilleurs disques du rappeur.

Youssoupha (Site officiel / Facebook / Twitter / Instagram / YouTube)

Youssoupha, Polaroïd Expérience, 2018, Bomayé Musik / Mukongo Business