Yeun Elez x Hoel Moce — Yeun Elez


C’est une histoire d’entrée des Enfers dont on aurait enfin retrouvé la porte d’accès. L’ouverture est là, camouflée dans un coin méconnu du Finistère, où une zone marécageuse est devenue le lac (artificiel) de Saint-Michel, puis l’espace de refroidissement de la centrale nucléaire, en plein démantèlement dans les années 80, des Monts d’Arrée. On y parle d’âmes qui s’y égarent, d’esprits qui y végètent, de point de nouveau départ pour celles et ceux qui, ici, ont terminé leur course. Les légendes celtes, qu’on raconte encore aux enfants de la région et à celles des alentours, ont parfois la vie longue et l’impact solide : devenu adultes, les anciens enfants y repensent à l’occasion ou un peu trop souvent, digressent dessus, partagent à leur tour aux nouveaux bambins les légendes angoissantes qu’ils avaient entendu eux-mêmes. D’autres, aussi, font de ces souvenirs le point d’ancrages de créations insolites.

Arbres morts et marais du Yeun Elez © Lamiot / Wikipédia / Creative commons 

Enfer

C’est le cas du musicien, compositeur et producteur Hoel Moce qui a carrément fait du Yeun Elez — le nom de ce lieu couvert de mystères ténébreux —, le blase d’un projet où la techno ombrageuse copine avec une voix qui s’étouffe, qui s’ébruite, qui murmure des histoires, vous l’aurez peut-être deviné, liées à leurs tours à ces âmes qui, au cœur de la Bretagne, sont venues se perdre et même parfois se retrouver. Des textes d’une poésie bizarre, nuageuse et viscérale accompagnent ces productions et font de ce disque fait à deux mains et à plusieurs talents (Hoel Moce est aussi artiste plasticien et fait notamment de la gravure sur bois) une rareté à retenir.

Un disque qui s’écoute et se regarde, l’esprit focalisé sur ces histoires où les mondes d’ici et de là-bas cohabitent, des histoires qui pourraient bien, à votre tour, vous rester en tête.

Yeun Elez

Bonjour Hoel Moce. Quel est ton rapport, disons, intime, à la zone du Yeun Elez ?

À vrai dire, c’est un coin du Finistère que je connais assez peu et où je suis seulement allé deux fois. Moi, je suis originaire de Basse-Bretagne, du pays gallo. Mais mon père me lisait beaucoup de contes bretons étant enfant dont la plupart prenaient leurs racines dans le Yeun Elez, un lieu plutôt mystique. Ces légendes liées à mon enfance continuent d’alimenter mon univers pictural et musical.

Le Yeun Elez, bien sûr, est connu pour être l’une des régions où l’on pourrait bien trouver les Portes de l’Enfer. Pourquoi avoir décidé, ainsi, de prendre cet alias et d’appeler ton premier album Yeun Elez ?

Je voulais un nom qui soit lié aux histoires de mon enfance et à mon travail de graveur. L’album s’appelle également Yeun Elez car il s’articule comme un conte. Il raconte des histoires pour la plupart assez tragiques autour de la mort et de l’amour, thèmes assez récurant dans les histoires païennes de Bretagne ou d’ailleurs.

J’ai vécu pendant neuf ans à Bruxelles. Quand j’ai commencé à écrire l’album, j’étais retourné vivre à Vitré (petite cité médiévale en Ille-et-Vilaine). J’ai énormément reconnecté avec la Bretagne et mes origines durant cette période. Je travaillais beaucoup la gravure en m’inspirant des légendes celtes.

« Je sens son souffle qui s’éteint. Ses yeux se ferment. Il n’y a plus de bruit. Le silence règne sur la terre. Je vois son âme partir. Je sens son corps rugir qu’il n’y a plus rien. Tout est fini, c’est la fin ». Tu sembles, avec cet album, raconter le voyage d’un condamné vers le Yeun Elez. Doit-on y voir autre chose, peut-être quelque chose de plus métaphorique ?

Toutes les histoires humaines se terminent fatalement par la mort. Mais chez les celtes, elle n’est pas forcément une fin. Même si cette phrase vient clôturer l’album et l’histoire qu’il raconte, ce n’est qu’une introduction à ce nouveau projet. Il faut savoir qu’historiquement, en Bretagne, on parlait “des enfers” et non pas “de l’enfer”. Les enfers étaient tout simplement un lieu où allaient tous les morts, sans distinction de valeurs. Le Yeun Elez en était l’entrée selon certaines légendes. Notre personnage termine donc son voyage au bord du Yeun Elez, paisible.

Tu signes également les visuels de cet album, dont je lis qu’ils sont initialement des gravures sur bois. Comment as-tu, très concrètement et techniquement, procédé ?

Il y a des gravures sur bois et des linogravures. C’est à peu près le même procédé. J’utilise des plaques de MDF ou de lino. Je fais un croquis à même la plaque avec un crayon de bois. Ensuite, à l’aide d’une gouge, je viens enlever de la matière. Je dessine ainsi les blancs de mon image, tout le bois qui restera correspondrait donc aux traits. C’est un procédé d’impression en négatif. Une fois que la plaque est gravée, je l’encre à l’aide d’un rouleau. Je l’imprime ensuite à l’aide d’une presse de gravure. Deux gros cylindres en fonte entraînent un plateau en bois à l’aide d’une manivelle. J’y dépose ma plaque encrée sur laquelle je viens appliquer du papier. Avant de tout recouvrir par un morceau de feutre. J’actionne ensuite la manivelle, le rouleau supérieur vient presser le papier sur la plaque imprimant ainsi mon image.

Les visuels ont été conçus en même temps que l’album, au moment de sa gestation. Sont-ils ainsi si intimement liés à la musique et à l’histoire que tu y racontes ?

Oui, complètement. Dans le petit livret qui accompagne la cassette, chaque image vient illustrer une chanson. Certaines ont été conçues en même temps.

Doit-on voir ces visuels comme des essais autour de la légende entourant le Yeun Elez en elle-même ou quelque chose de plus personnel ?

Certaines images sont liées à la légende du Yeun Elez et d’autres sont des versions certes personnelles, mais toujours romancées. Je pense que dans la création, il y a toujours quelque chose de personnel. La musique, le dessin, sont liés à notre vécu, nos influences, nos joies, nos tristesses. Surtout les moments de peine, car ce sont eux qui nous font avancer dans la vie, elles nous empêchent de reproduire les mêmes erreurs. Ce sont des grands moments d’inspiration.

Yeun Elez

Quelle était, jusqu’ici, ton expérience de la gravure sur bois ? Est-ce un art que tu pratiques souvent ? Ou que tu as expérimenté ici ?

C’est un art que je pratique régulièrement depuis dix ans. J’étais parti initialement à Bruxelles pour faire une école d’illustration à l’École Saint-Luc. Finalement, ça n’avait pas vraiment fonctionné. Pendant un an, j’ai travaillé en restauration en me demandant ce que je pourrais faire. Puis j’ai commencé des cours du soir en gravure. J’étais depuis longtemps attiré par les vieilles gravures que l’on trouve dans des récits de voyages ou dans des vieux romans.

J’ai suivi ces cours pendant deux ans. À cette période, je faisais surtout de l’eau-forte (de la gravure sur zinc ou cuivre). C’était un vrai coup de cœur. J’aime le mélange de l’artisanat et de l’illustration et tout le panel de technique que recèle la gravure. Par la suite, je suis rentré dans une section spécialisée dans la gravure et la sérigraphie : LE 75 à Bruxelles.

Là-bas, j’ai découvert la gravure sur bois puis toute la gravure médiévale grâce au cours de gravures en relief. Ça correspondait beaucoup à mon univers. J’ai obtenu mon diplôme au bout de trois ans et depuis je n’ai jamais vraiment cessé de pratiquer.

Rétrospectivement, comment analyserais-tu cette pochette qui accompagne l’album Yeun Elez ?

Je pense qu’il faut dissocier la pochette du reste des illustrations. La pochette de l’album est un détail d’une gravure plus grande qu’on peut retrouver sur le Bandcamp. C’est une grande gravure d’un mètre vingt sur soixante centimètres. C’est la première fois que je travaillais sur un aussi grand format. Je suis allé l’imprimer à Gand en Belgique en résidence au Boothuis Brauhaus : une péniche qui abrite un merveilleux studio d’impression. J’ai travaillé sur une presse vieille de 300 ans et qui pèse près d’une tonne. C’était un moment assez magique.

L’automne dernier, il m’est arrivé pas mal de galères. J’étais coincé seul à Vitré en pleine campagne. Je faisais des crises d’angoisses très violentes. Je n’arrivais plus à écrire, ni à dessiner, ni à composer.

Yeun Elez

Je ne faisais plus de gravures depuis quelques mois et j’avais comme envie depuis longtemps de travailler sur des grands formats. Faire une série dont j’aurais pu aussi bien présenter les matrices que les impressions. J’ai commencé petit à petit à entailler des bouts de bois. Je me suis vite rendu compte que ça me faisait beaucoup de bien, que je ne pensais ni aux problèmes, ni aux mal-être. Mieux que la sophrologie ! J’ai travaillé pendant un mois sans relâche sur cette matrice afin d’obtenir ce résultat.

En parallèle, mon album commençait à prendre forme et les deux se faisaient échos. Je pense que l’un comme l’autre sont la digestion d’une époque de ma vie que j’ai choisi d’interpréter et de romancer pour pouvoir aller de l’avant.

Yeun Elez

En créant des parallèles avec mon univers lui-même nourri par la Bretagne des contes et légendes et les paysages d’automne. Cette route se termine, mais une autre commence, on se laisse porter par le courant en se débattant sans cesse ; jusqu’à ce que la source se tarisse.

Yeun Elez, Yeun Elez, 2022, Teenage Menopause Rds, 29 min.