Waterwalls — Anom


Est-ce le début du printemps, ou bien son terme, qu’annonce cette hirondelle qui élance son plumage vers ce qui semble être une plongée, mais qui pourrait tout aussi bien être une remontée ? Via son projet Waterwalls dont il gère aussi l’image, Xavier Ridel chante (entre autres) une personne chère — Mona, qui est devenue Anom — qui ne traîne plus dans ses parages à lui et qui a emporté avec elle toute volonté de penser à autre chose qu’aux moments que l’on ressasse, que l’on regrette, et que l’on rejoue sans cesse en mode repeat. Anom est le disque d’un départ qui a été dur et qui a manifestement engendré d’autres désagréments (lorsque l’on retire le socle, le reste de la structure a souvent tendance à vaciller…), si bien que son titre fait aussi référence à l’anomie, le concept développé par le sociologue français Émile Durkheim qui dit le « désordre individuel » caractérisé par la perte ou l’effacement des valeurs (morales, religieuses, civiques…) et le sentiment associé d’aliénation et d’irrésolution. Ici, la joie s’est enfuie.

L’oiseau qui plonge, l’oiseau qui remonte

Alors, qu’il plonge ou qu’il remonte, il n’en demeure pas moins qu’il a eu un souci, cet oiseau synonyme de liberté (c’est en général, excepté les canaris que l’on enferme dans les cages, l’idée que l’on associe aux oiseaux). C’est en tout cas ce que laisse supposer ce rouge sombre qui encercle cette image dérobée aux hasards de divagations digitales — « j’ai chopé le dessin sur un site internet obscur, il a été réalisé par un explorateur du siècle dernier », confesse Xavier —, une couleur qui indique, rappelons-le, le courage, l’ardeur, l’interdiction, l’amour passionné…et naturellement le sang qui s’échappe du corps, ce qui n’est jamais bon signe.

À propos de ce dessin, Xavier raconte : « Il m’a tout de suite plu parce qu’il est double : avec ses yeux rouges et son corps taillé en couteau, on ne sait pas trop s’il est gentil ou plein de rage. Quoiqu’il en soit, ça reste un oiseau, et il représente une certaine forme de beauté qui, à mon sens, est aujourd’hui nécessaire (…) Aussi, je ne sais pas trop, mais j’avais l’impression qu’il représentait assez bien tout ce à quoi peut mener une société aussi inquiète et perturbée que la nôtre. Comme beaucoup, j’ai la forte impression qu’on arrive au terme de quelque chose, et quoi de mieux pour représenter ça que cette couleur ? »

Un oiseau qui plonge pour dire une société qui s’écroule ou du moins, qui tangue ? Prophétique, comte tenu de la période de confinement dans laquelle se retrouve actuellement bloquée nombre d’Européens. Xavier, toujours, et à propos de ce texte compliqué à regarder sur un format digital mais que l’on pourra lire, en le présentant devant un miroir, par le biais d’un format physique :

Il faut parfois savoir serrer les mâchoires et regarder l’ombre en face pour pouvoir remonter la pente et se concentrer à nouveau sur la lumière.

Xavier Ridel

« Le texte qui l’entoure est placé de telle manière à ce qu’on ait l’impression que ce soit une bande de scotch, un peu comme si cette hirondelle était un pansement. Mais il y a bien des choses écrites, et des choses assez importantes. Il faut regarder ce texte dans un miroir — littéralement — pour le lire et l’idée me semblait cool parce que le disque parle pas mal, de manière souterraine ou non, de l’époque et de ses dangers, de relations humaines, d’altruisme, d’égocentrisme et caetera. Il y a aussi un aspect frontal là-dedans qui me plaisait, parce que les textes en eux-même sont assez brutaux, voire plutôt violents sur le plan des sentiments. Mais il faut parfois savoir serrer les mâchoires et regarder l’ombre en face pour pouvoir remonter la pente et se concentrer à nouveau sur la lumière. C’est aussi ce qu’évoque l’album, et c’est en tout cas ce qu’il a représenté pour moi d’une certaine manière ; donc tout ça fait finalement sens. »

Le son

Xavier Ridel sort des disques sous l’appellation Waterwalls depuis une demi-douzaine d’années. Sa musique porte le sceau du shoegaze, de la pop à laquelle on pourra ajouter les suffixes « dream », « noise », ou même pourquoi pas « cold », et ses textes celui d’un esprit sensible et curieux qui n’hésite pas à citer Rimbaud (le poème « Enfance IV », qui débute par « Je suis le saint, en prière sur la terrasse ») afin d’introduire un nouvel album qui a été écrit, manifestement, parce que le cœur était sur le point d’éclater en lambeaux. Ceux qui créés ont cette chance et cette opportunité, de pouvoir se guérir avec les propres progénitures de leurs cerveaux, et il semblerait bien que Waterwalls fasse partie de ceux-là. Est-ce cela, que l’on nomme l’autothérapie ?

Waterwalls (Facebook / Bandcamp)

Waterwalls, Anom, 2020, In Silico Records / Kuroneko