Viet Cong x Dusdin Condren – Viet Cong


Viet Cong x Dusdin Condren x Viet Cong

Deux paires de mains. L’une, les manches foncées sur les poignets, est sur le point de libérer l’autre d’un bandage qui semblait la rendre jusqu’ici prisonnière. On se doute qu’une vilaine blessure a dû occasionner ce bandage, compte tenu de l’ampleur de celui-ci. Cette scène transcrite sur Viet Cong, la pochette du premier album de Viet Cong (c’est donc un album éponyme), fait directement référence à celle de l’EP Continental Shelf, sorti quelques semaines avant l’album, et qui présente une scène quasiment similaire (les mains, les bandages, les ciseaux…)

Brouhaha sonore, brouhaha visuel

Cette scène peut paraître banale, mais parce qu’elle focalise uniquement son œil sur ces mains entremêlées et séparées du reste du corps, elle suggère en réalité une violence conséquente. Métaphoriquement, c’est comme si ces ciseaux émancipaient, en se refermant l’un sur l’autre, la rage viscéralement punk inscrite dans l’ADN de ce quatuor au nom de force armée nord-vietnamienne, dont le nom apparaît à gauche (avec un nom pareil, c’est logique…) et en lettres capitales, de la même manière que le bruit d’image qui parasite considérablement le visuel fait écho, en se faisant « brouhaha visuel », au brouhaha sonore qui émane parfois de cet album (pensons à l’introduction « Newspaper Spoons » ou aux lentes montées du terminal « Death »).

En noir et blanc, avec cette qualité d’image défaillante que l’on notait déjà, la pochette paraît directement être issue d’archives nord-vietnamiennes (comme celle de l’EP Throw It Away, dont la photo semble être la photographie d’un duo de prostituées locales période « les Américains sont dans le coin »), comme si elle émanait du cerveau aventureux d’un photographe de guerre parachuté, au cœur des années 60, au beau milieu de la jungle locale, dans l’intimité belliqueuse d’un camp de résistance militariste. Cette pochette est en réalité issue du travail de Dusdin Condren, photographe freelance actif à New York et en Californie, dont le catalogue contient déjà une dizaine de pochette d’albums, dont certaines, déjà, réalisées pour le label Jagiaguwar (Tramp et Leonard de Sharon Van Etten, Heartbreaking Bravery de Moonface). On note aussi des collaborations pour Secretly Canadians (Good Mood Fool de Luke Temple, Lost In The Dreams de The War On Drugs), pour Dead Oceans (Country Sleep de Night Beds, Primrose Green de Ryley Walker) ou cette année pour le mythique label londonien Rough Trade (Little Neon Limelight de Houndmouth).

Au milieu de ces pochettes honnêtes mais sans véritables histoires (mettons de côté la belle cover du dernier The War On Drugs), et au milieu d’un travail photographique annexe relativement dérisoire (lorsque l’on parcourt son book, seule la série « Bedroom » retient l’œil plus de quelques instants), la pochette de Viet Cong (et aussi celle de Continental Shelf) s’impose indubitablement comme la production la plus forte et la plus aboutie de ce photographe largement méconnu qui parvient, ici, à sublimer une pratique qui s’apparentait jusqu’ici pour lui davantage à un très bon artisanat qu’à un véritable travail artistique. Applaudissement des deux mains (fracturées ou non).

Bedroom - 2009

Prémonition / syndrome Joy Division

Mais le plus surprenant est sans doute le côté incroyablement prémonitoire que cette pochette implique (syndrome Closer de Joy Division, sans la pendaison), lorsque l’on sait que le batteur du groupe Mike Wallace s’est justement fracturé récemment la main, obligeant notamment le groupe à annuler certaines des dates prévues dans le cadre de la tournée de ce premier album. Une réponse à l’éternelle question qui cherche à savoir qui de l’art ou de la réalité cherche toujours à imiter l’autre ?

Le son

Entre post-punk ruisselant, shoegaze enivrant, et noisy tambourinant, le premier album de Viet Cong (dont les membres sont Canadiens, et non pas Vietnamiens) alterne véritables mélodies et profondes furies sur 7 morceaux imbibés de sueurs et habités par les spectres du sacro-saint label Factory. Le genre d’album que l’on peut finir par considérer, et comme la frange politique d’extrême gauche qu’évoque le nom du groupe, comme un véritable manifeste du genre.

Viet  Cong (Facebook / Twitter / Bandcamp)

Dusdin Condren (Site officiel / FacebookTwitter)

Viet Cong, Viet Cong, 2015, Jagjaguwar / [PIAS], pochette par Dusdin Condren