Unknown Mortal Orchestra – V


De ce côté-ci du miroir, de la vitre, du vivant, tout va bien. La vie moderne a garni nos quotidiens d’une norme inédite dans la longue histoire de l’humanité, celle de nous avoir exclu, d’une certaine manière, de la chaîne alimentaire qui régit les rapports entre espèces animales depuis la nuit des temps. Au XXIe siècle, l’humain n’est plus ni chasseur – en quête permanente d’une proie pour se nourrir – ni chassé – en perpétuelle fuite et camouflage pour échapper aux tentatives de poursuite des autres. Il est devenu, à de rares exceptions près –  certains, chez les humains, chassent toujours – le consommateur d’une nourriture, récupérée avec désinvolture en grande surface, dont il est le plus souvent bien incapable d’identifier l’origine. Les prédateurs sont devenus des peluches et des versions modérées et inoffensives d’eux-mêmes, à admirer avec des yeux vite lassés, taxidermés dans les musées ou apathiques dans les zoos. De ce côté-ci de la vitre, tout va bien.

Unknown Mortal Orchestra

Vivant

Mais une vitre n’est pas une pierre, un rocher, une montagne. Une vitre, à la première tempête un peu trop remuante, peut se briser si les vents soufflent trop forts ou si la pluie bat les environs avec trop d’ardeur. Et si la vitre tombe, le vivant ressurgit, bondissant et affamé, à portée de pelage, de crocs, de griffes. La peluche ne se laisse plus faire et ses muscles, de nouveau, se tendent. L’humain, lui, retrouve la place qui a été la sienne durant si longtemps. Il retrouve l’adversité du vivant qui, cette fois, ne serait plus pour lui un dû. On rabat les cartes. On revient à la source.

Le cinquième album de la formation pop psyché, rock indie ou garage Unknown Mortal Orchestra, qui, soyons précis, puise ici “dans les riches traditions de la pop West Coast, du yacht rock des années 70 et du style de musique hawaïenne Hapa-haole”, se nomme V. Comme le cinquième chiffre de l’alphabet des humains écrit en lettres romaines. “V comme Victoire”, précise aussi et surtout le multi-instrumentiste et producteur hawaïano-néozélandais Ruban Nielson, qui souligne avec ironie, et avec ce cliché qui pourrait bien initialement avoir été une photo prise lors d’un séjour découverte au zoo en compagnie d’un bambin curieux du monde qui s’ouvre devant lui, l’ascendance d’un enfant en bas-âge sur un léopard en pleine force de l’âge. L’humain. Le vivant. Deux idées distinctes, désormais ?

Le léopard et sa fourrure si célèbre croit pouvoir croquer l’enfant vêtu d’une veste à carreaux. Mais il y a la vitre. Et une métaphore de ce qui paraît tout à fait possible jusqu’à ce qu’un obstacle, invisible jusqu’alors, ne vienne contester ce qui, l’instant d’après, semble ne plus l’être. Une référence à ce virus qui, il y a trois ans de ça, a semé le trouble et l’isolement d’une partie de la population mondiale, et a rappelé au monde la fragilité branlante de sa toute-puissance ? Car le disque trouve sa source aux débuts du confinement qui a gagné les États-Unis d’Amérique, confinement qui s’est associé, pour le leader de UMO, de maladies et de décès dans la famille, comme pour rappeler qu’il n’y a parfois qu’un fil à couper pour qu’une structure ne s’effiloche. Ou qu’une vitre ne se brise. V comme Victoire. Ou comme Violence.

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Unknown Mortal Orchestra, V, 2023, Jagjaguwar, 60 min.