Ugly Mac Beer x Lola. F — The Valley of the Kings


Ugly Mac Beer x Lola. F — The Valley of the King

Sur la rive occidentale du Nil, tout proche de Louxor (qui s’appelait jadis Thèbes) s’étend la célèbre Vallée des rois. Les tombeaux des pharaons du Nouvel Empire (1539-1075 av. JC) y furent placés. Ils y trouvèrent une dernière demeure au sein de monuments publics grandioses ou camouflés dans les souterrains d’édifices où furent également déposées les reines, les princes, les notables d’une société dont les tombeaux funéraires, découverts bien plus tard, témoignent d’un lieu qui fut indiscutablement celui qui séparait, pour les Égyptiens, le monde terrestre du céleste. La momification préservait les corps, désormais aptes à être accueillis par des Dieux qui n’attendaient plus qu’eux.


Égypte, Vallée des Rois, Nécropole thébaine, Tombe de Merenptah (KV8) © Marie Thérèse Hébert & Jean Robert Thibault  / Creative Commons / Wikipédia

Dieux

Hautement fantasmagorique, la Vallée des rois a récemment servi d’échappatoire mentale à Ugly Mac Beer, le producteur vu hier aux côtés de Wax Tailor ou du beatmaker Mister Modo. Près de Thèbes, il y a des millénaires de cela, ce Français adepte du turntablism (l’art de créer de la musique avec des platines à vinyles) s’y est projeté afin de concevoir un nouvel album nommé comme la dernière demeure des Pharaons. Sur un disque construit à partir de samples issus d’une collection précieuse de vinyles piochés de l’autre côté de la Méditerranée, sur les bords du Nil, c’est une Égypte pleine de légendes obscures, d’éclats lumineux, de broken beat et d’abstract hip hop qui a émergé des ténèbres.

Pour illustrer cette odyssée étrange en bordure de Nil, une artiste habituée aux esthétiques cyberpunk, où les femmes et les hommes ont écarté la question du genre depuis longtemps, assument le métissage qui scinde les humain.e.s et les machines, bouleversent des codes où le masculin ne l’emporte plus nécessairement sur le féminin. Dans ses dessins, la rencontre d’Enki Bilal, de Paul B. Preciado, d’Elzo Durt, d’une vision du monde qui ne souffre d’aucune forme de conformisme esthétique, mais où les valeurs, les individus et les formes, peuvent souvent se confronter, comme dans cette pochette qui raconte de nouvelles histoires, profane des tombeaux, remonte le temps.

Bonjour Lola. Comment en es-tu venue à travailler avec Ugly Mac Beer sur la pochette de The Valley of the Kings et son identité visuelle ?

Bonjour Bastien. Ugly Mac Beer et moi sommes rentrés en contact grâce à Pat, qui fait partie du groupe Frustration. J’avais réalisé une pochette d’album quelque temps auparavant pour le nouveau groupe de punk qu’il avait créé, qui s’appelle Règlement, que je recommande si tu aimes secouer la tête en fronçant les sourcils.

Connaissais-tu le projet avant de travailler avec ?

Pas du tout. Je ne connaissais pas Ugly Mac Beer ni ce qu’il avait fait dans l’immédiat. J’ai joué la stalkeuse en allant fouiner un peu sur internet. 

J’ai découvert qu’il venait de la scène hip hop et le son qu’il avait fait il y a quelques années, que je connaissais bien.

Je n’étais pas très familière avec cet univers musical au départ. Mais dès qu’il a commencé à me parler de son projet, et que j’ai eu l’occasion de faire une première écoute de l’album, tout a pris forme assez vite.

Y avait-il des consignes particulières de la part de Ugly Mac Béer et si oui qu’elles étaient-elles ?

En premier lieu, il fallait que l’on s’accorde sur ce qui définissait l’identité de l’album, ce qui s’en dégageait ; on devait s’aligner sur des références qui nous inspiraient tous les deux et qui pouvaient matcher ; l’inspiration égyptienne, les éléments mystiques, les visuels de SF vintage, les pochettes d’albums orientaux un peu kitsch, etc. Notre référence coup de cœur a été cette célèbre pochette d’Iron Maiden de l’album Powerslave, c’est de là que tout est parti.

Iron Maiden x Derek Riggs – Powerslave (1984)

Ensuite, il m’a donné carte blanche.

Nos échanges étaient super fluides et il n’y a quasiment pas eu de retravail à faire sur l’ensemble du projet. Il était très ouvert à mes propositions, et grâce à ça, je n’ai pas manqué d’inspiration. Je me suis bien amusée.

Techniquement parlant, comment as-tu réalisé cette pochette ?

D’habitude, je réalise mes illustrations N&B à la plume, mais quand j’ai pris conscience de la complexité qu’allait prendre l’image, j’ai préféré la sécurité numérique.  J’avais quelques appréhensions sur les retouches qu’il y aurait pu avoir, étant donné que la technique du hachurage est très chronophage, ce qui pouvait ralentir la fabrication de la pochette. Les dessins qui ont suivi ont été fabriqués de la même manière.

Jérôme Bosch – Le Jardin des Délices

Comment sont nés les personnages et les différentes saynètes de cette cover, qui me fait penser à un mélange entre Jérôme Bosch et Enki Bilal ?

Merci, ça veut dire que l’on comprend bien le mélange de styles. L’idée générale de la pochette est partie du titre The Valley of the Kings qui est déjà très parlant.

Il y avait ce goût commun pour les illustrations de BD SF des années 80, qui sont mes principales références dans mon travail et les couvertures de jeux vidéo vintage. Notamment celle de Streets of Rage 2 que je trouve très comique. Elle m’a beaucoup plu parce qu’elle représente les personnages dans une rixe folle et un peu ridicule, dans le bon sens du terme.

C’est un peu ce qui a inspiré les personnages. Des reines, des rois, des déesses, des guerriers-res et des monstres inspirés de la mythologie, qui s’entretuent pour régner en maîtres-sses sur la Valley of the Kings. Une sorte de guerre civile en armure dans une Égypte rétrofuturiste. Je trouvais que ça collait bien avec l’esprit de l’album qui fait renaître d’anciens samples sur des rythmes électroniques.

Peux-tu me parler de ces différentes saynètes ? Racontent-elles une histoire particulière, en lien avec ce que raconte l’album, par exemple ?

Il n’y a pas vraiment de lien narratif qui uni les scènes les unes aux autres. Le plus important était qu’il y ait autant d’actions que d’univers perceptibles dans la couleur musicale de l’album. Un peu comme si toutes les scènes d’un film figuraient ensemble sur l’affiche.

Je voulais créer une superposition d’émotions, que la guerre, la peur, la folie, l’amour cohabitent dans un chaos commun et qu’au final la scène est quelque chose d’absurde par la quantité de ses saynètes.

J’ai une certaine affection pour le dramatique, et c’est finalement pour cette raison que tout le monde est en train de mourir, ou de vivre quelque chose d’intense. Il fallait rendre héroïque et divertissant le sort de ces personnages. 

Je pense que le scarabée survit, mais il faudra attendre une autre pochette pour le savoir.

Avec du recul, que penses-tu de cette pochette et du travail que tu as réalisé dessus ?

Je n’ai pas encore beaucoup de recul dessus, puisque le projet s’est terminé en décembre, ce qui est encore frais, mais j’ai pris beaucoup de plaisir à réaliser cette pochette. Je remercie Ugly Mac Beer pour sa confiance, car ce qui était au départ un seul dessin s’est finalement transformé en une vraie identité visuelle, avec la réalisation de trois illustrations supplémentaires pour les singles.

J’ai vraiment bénéficié d’une liberté totale, dans un univers qui me plaît. Je trouve que l’on ressent une vraie unité entre l’album et l’univers des pochettes, et que le projet dans sa finalité forme une belle allégorie. Et Ugly Mac Beer était content.

Ugly Mac Beer (Facebook / Twitter / Instagram / YouTube)

Lola. F (Instagram)

Ugly Mac Beer, The Valley of the Kings, 2023, Beatsqueeze Records / X-Ray Production, 23 min., pochette de Lola. F.