TR/ST x Davy Evans — The Destroyer, Part Two


Voilà près de dix ans que TR/ST (ex-Trust), le projet mené aujourd’hui en solo par le canadien Robert Alfons — un temps épaulé par la batteuse d’Austra, Maya Postepski —, explore les sombres rivages d’une synthwave aux teints pop.

Après deux albums — un très mature et homogène self-titled en 2012, qui établissait les frontières du style d’Alfons, et le presque concept mais tout aussi équilibré Joyland en 2014, aux accents plus rétro et dance que son prédécesseur — TR/ST est réapparu fin 2017 avec le morceau « Destroyer 1 ».

Posté sur la chaîne YouTube Nowness, sans diffusion sur les plateformes de streaming et envoyé aux fans du projet par mailing list, le dépaysant single — quelle surprise d’entendre la voix d’Alfons se poser sur une prod presque acoustique — se voulait annonciateur de l’arrivée d’un nouveau projet de TR/ST.

Si un album était attendu au tournant, les fans de la formation canadienne ont dû patienter jusqu’en avril dernier, et la sortie de The Destroyer – 1, un projet annoncé en deux parties début 2019. Un nouvel opus logiquement plus court, mais pas moins qualitatif, que les deux premiers albums du groupe — d’une durée de 30 minutes au lieu de la cinquantaine habituelle, au sein duquel Robert Alfons renoue, cinq ans après son dernier disque, avec une coldwave abyssale et mélancolique à souhait. Si la recette a déjà fait ses preuves, la première partie de The Destroyer paraît être la plus émotionnellement chargée de tous les projets de TR/ST jusqu’ici — ce que concède le musicien dans une interview accordée à Billboard à la sortie de l’album. Une intensité responsable, peut-être, d’un processus créatif plus important, duquel ont résulté les seize titres qui composent la totalité de The Destroyer.

Chaotique, bouillonnante et épurée à la fois, la musique de TR/ST dispose d’une imagerie léchée, supervisée depuis ses débuts par la tête pensante de la formation. En 2012, Robert Alfons illustrait son premier album d’un glacial portrait, aussi désincarné que l’artwork du premier album de Crystal Castles — dont le producteur a d’ailleurs participé au design du disque de TR/ST —, et qui s’inscrit dans la liste de ces visages qui nous marquent à jamais (coucou Aphex Twin).

Robert Alfons - Joyland (2014)
Robert Alfons – Joyland (2014)

Deux ans plus tard, le mystique Joyland montrait un nouveau cliché pris par le chanteur, semblant issu d’un sombre tunnel routier dont les néons lumineux font office de repères — à moins qu’il ne s’agisse d’un de ces vaisseaux qu’on aperçoit dans Tron. Une imagerie simple, qui collait parfaitement à la darkwave qui caractérise le travail de TR/ST.

TR/ST x Eliot Lee Hazel – The Destroyer – 1 (2019)

Cette année, et pour la première fois, la photo qui illustre la première partie de The Destroyer a été réalisée par un photographe, et non par Alfons. Pour autant, le cliché d’Eliot Lee Hazel ne fait pas tâche dans l’identité visuelle de TR/ST.

Il présente un corps, inanimé ou simplement contemplatif, flottant dans une eau trouble. Surexposée, la pâle silhouette rappelle celle d’Ophélie, personnage éponyme représenté par le peintre anglais John Everett Millais et issu du Hamlet de Shakespeare. De manière moins pudique, le cliché semble faire référence au premier artwork de TR/ST (alors encore « TRUST »), celui de son single Candy Walls.

John Everett Millais – Ophélie (1897) © Creative Commons

Une ambiance apocalyptique, dont la pâle colorimétrie et le contraste de la photographie sont garants, qui s’éloigne des sublimes illustrations qui accompagnaient les singles. Rappelant l’univers graphique de Tim Burton, les dessins de Blake Armstrong attribuent aux titres de The Destroyer – 1 des créatures difformes, dégoulinantes, mais à la cohérence indéniable — comment mieux représenter le chaos bouillonnant qui ouvre le titre « Colossal » qu’avec de sombres et éparses tâches d’aquarelle d’un noir profond ?

TR/ST x Blake Armstrong — Colossal (2019)

Tâches et chaos 

Cette fois encore, Alfons a délégué la production de l’identité visuelle de son album. Pour illustrer ce nouvel opus — plus sombre que le précédent selon son auteur —, le producteur à fait appel à Davy Evans, artiste multidisciplinaire, notamment connu pour son travail sur l’artwork de Coexist, deuxième album de The xx. Epuré à souhait, ne se distinguant que par ses textures, le designer anglais avait su retranscrire visuellement l’ambiance sonore de l’album avec une grande justesse. Le chaos pictural qui illustre The Destroyer – 2 se veut donc annonciateur d’un album ténébreux. 

Tachée, éparse et déséquilibrée, l’illustration s’inscrit dans le registre des artworks de peinture abstraite, dont se sont déjà servi des groupes comme alt-J, Cosmin TRG ou Jefre Cantu- Ledesma.

Jefre Cantu-Ledesma x Matt Connors – A Year With 13 Moons (2014)

Si le style a déjà su illustrer des albums de pop, de techno et d’ambient, aucun doute ne subsiste quant à sa capacité à coller au style de TR/ST. Plus proche des émotions par l’absence de figuratif, l’abstrait, en se reposant sur des textures picturales et une composition désordonnée, s’impose comme un moyen idéal pour mettre en images la conclusion de The Destroyer

Le son

The Destroyer – 2 a été annoncé avec la parution d’un nouveau single, « Iris ». Insidieuse, la voix, tantôt chuchotée tantôt mélodieuse d’Alfons laisse entrevoir un album dans la lignée du précédent. Toujours plus mélancolique, le disque se démarquera probablement avec le morceau titre « Destroyer » — récemment publié sur les plateformes de streaming, après plus d’un an d’attente —, moins synthétique que toutes ses productions. De quoi laisser espérer une conclusion grandiose à un projet ambitieux et personnel, peut-être le plus mature de TR/ST.

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TR/ST, The Destroyer – 2, 2019, Grouch, artwork by Davy Evans