Lorsqu’il faut, pour celui qui créer, provoquer l’acte nécessaire de création, certains sont contraints de se placer dans des conditions qui le favorisent, cet acte créatif, soit en s’installant toujours à l’endroit dans lequel l’inspiration vient le plus naturellement possible — Marguerite Duras raconte, à titre d’exemple, l’importance prépondérante de sa maison de Trouville-sur-Mer dans son court roman Écrire —, soit en s’entourant d’objets qui rassurent et valident le sens de la démarche (à voir : le cabinet de curiosités, qui est aussi son cabinet de travail, d’André Breton, exposé comme tel au sein de la collection permanente du Centre Pompidou, à Paris). Pour créer correctement, c’est comme pour s’endormir correctement : à partir du moment où on a trouvé la manière de le faire, il ne faut pas la lâcher.

Ex-voto

Stéphane Milochevitch fait partie de ceux-là, de ces artistes qui ont besoin de quelques petits repaires pour envisager le départ vers les très grandes aventures. Lorsqu’il faut se mettre au travail, et composer les chansons qui forment la discographie de son projet Thousand (pop rêveuse et réelle, accompagnée par le label Talitres), le Français place en effet à ses côtés des photos, des objets, des symboles qui n’auraient sans doute pas beaucoup de sens pour les autres, mais qui disent tout pour lui. Un environnement idéal, pour Stéphane, comme un Paradis terrestre, comme le suggère le titre de ce quatrième album ?

De cette pochette, magnifiquement conçue par une artiste, Dove Perspicacius, qui crée des ex-votos sur commande et qu’il faut regarder en même temps que la peinture qui figure à l’intérieur de cette pochette — qui représente la Camargue, lieu important pour Stéphane, et un vol de flamants dont il est question dans l’un des morceaux —, Stéphane a tenu à nous parler. Écoutons-le.

« La pochette a été réalisée par Dove Perspicacius, alias Claire Wallois. J’ai découvert son travail vraiment par hasard à Montpellier, où elle passe une partie de son temps. Elle fabrique des ex-votos, objets rituels qui peuvent prendre beaucoup de formes différentes, et qui servent le plus souvent à implorer l’aide d’un saint ou à le remercier. Les siens sont soit très premier degré, soit légèrement détournés, mais toujours réalisés avec beaucoup de virtuosité quelle que soit la technique : céramique émaillée, peinture, sculpture, broderie…

Je m’entoure de beaucoup d’objets symboliques pour travailler la musique (ex-votos, cartes, masques, monnaies…), et son univers m’a tout de suite parlé. Son œuvre qui m’avait d’abord sauté aux yeux est une tenture brodée et peinte en hommage à Sara la noire, sainte des communautés Roms, dont la statue est visible dans la crypte de l’église des Saintes-Maries-de-la-Mer. J’avais justement été très impressionné quelques semaines auparavant par ma visite de cette église.

J’ai vraiment l’impression que le masque est mon vrai visage, et que je n’en suis qu’une représentation.

Stéphane Milochevitch

Claire est itinérante, et cet ex-voto est en lien direct avec son mode de vie. Elle a réalisé le masque en céramique émaillée en Camargue, puis on s’est vu pour composer l’autel avec des objets fétiches, certains des siens, certains des miens. Ça a été très vite. Je garde le masque dans une boîte, chez moi. Ça me fait toujours bizarre quand je l’ouvre et vois mon visage là-dedans. J’ai vraiment l’impression que le masque est mon vrai visage, et que je n’en suis qu’une représentation. »

Le son

Thousand (Facebook)

Dove Perspicacius (Facebook / Instagram)

Thousand, Au Paradis, 2020, Talitres, artwork par Dove Perspicacius. Sortie le 5 juin