The National x Graham MacIndoe x Pentagram – Sleep Well Beast


« The day I die, where will we be ? » interroge, lamenté, Matt Berninger sur « The Day I Die ». Dans cette maison, peut-être, qui paraît isolée du monde, entourée et faite de sombre, et semblable, dans l’idée du moins, au bunker servant d’abri anti-tornades que Curtis LaForche (aka Michael Shannon) met tant d’application à préserver dans Take Shelter, le film paranoïaque de Jeff Nichols ? L’idée est un peu là : l’artwork du septième album de The National, Sleep Well Beast, comme un repaire à l’abri du reste.

Take Shelter de Jeff Nichols

« I’ll still destroy you »

C’est que ce septième album, qui arrive quatre ans après le dernier – Trouble Will Find Me, 2013 – se focalise de manière essentielle sur ce sentiment universel, qui paraît marquer davantage encore une fois la quarantaine atteinte (c’est l’âge, par exemple, de Bryce Dessner) : la lassitude, les regrets, la rancoeur inavouée, et la difficulté de continuer à mener avec l’enthousiasme des débuts les relations amoureuses qui s’étirent, et qui prennent les formes que tous connaissent (vie à deux, mariage, enfants…) Fissures ordinaires, fissures centrales, et la représentation de cette maison sombre, sur l’artwork de  Sleep Well Beast (on devine donc ce à quoi renvoie la « Beast »…) avec cette photo signée Graham McIndoe, comme sur l’ensemble du design signé par l’agence Pentagram (le logo du groupe a, par exemple, pris également la forme de cette petite maison), comme une manière d’incarner la vie intime, celle dont les murs gardent jalousement le secret.

Loin des yeux

Le choix de cette maison afin d’illustrer ce disque, il s’est également fait afin de suggérer l’importance, pour cette fois, des conditions d’enregistrements du disque, conditions qui n’auraient pas toujours été idéales dans le passé. À l’AFP, Bryce Dessner, qui sort de l’enregistrement de son album stellaire avec Sufjan Stevens, James McAllister et Nico Muhly – Planetarium, également chez 4AD – déclare à ce sujet :

« Pour cet album, on n’était pas très pressés de se retrouver. Nous avions besoin de nous retrancher dans nos coins respectifs, de nous lancer dans d’autres projets musicaux. Il se trouve que nous vivons éloignés les uns des autres. C’est bénéfique car depuis quelques années on fait de longues tournées ensemble (…) On a apprécié de travailler ensemble, alors que par le passé, il y a eu des sessions très difficiles, au cours desquelles l’angoisse et la tension étaient extrêmes ».

SARL

Et cette photo en noir et blanc, qui apparaît dans le coin droit de la bâtisse ? Luke Hayman, de la très grande agence Pentagram, qui a dirigé l’ensemble de l’identité visuelle du disque, déclarait récemment à l’excellent magazine londonien Dezeen : « La cover est une photo du studio d’enregistrement rural de New York State, construit sur la propriété de l’un des membres du groupe et shootée par Graham MacIndoe. C’est devenu une partie de la mythologie de l’identité visuelle : cette photo, c’est le siège de la ‘société’ ou de l’organisation qui produit la propagande musicale de The National. »

The National devenue multinationale, ou petite entreprise locale ? L’idée plaît au groupe, amuse ses fans (ci-dessus, la réaction de l’un d’entre eux à la découvert de ce nouveau design, sur Facebook), et aussi à Pentagram, qui décline ainsi toute une série de visuelle rappelant, effectivement, le lancement d’une firme ayant pour vocation de signaler l’existence de sa marque sur tous les supports possibles et imaginables…

Le choix du bleu et du blanc, lui s’est fait parce que l’alliance des deux couleurs rappelait à Hayman les couleurs des « entreprise des années 70 en Grande-Bretagne ». À la vue de l’artwork global, on pensera plutôt en réalité à Edward Hopper et à son célèbre Nighthawks, vision nocturne d’un restaurant de centre-ville dans lequel tout semble calme, figé, immobile, impassible. Comme l’état d’une « beast », qui s’éveille et s’endort avec, toujours, la même désespérante sérénité ?

Edward Hopper – Nighthawks

Le son

Comme toujours chez The National, il ne faudrait pas chercher ici la joie la plus extravagante. Avec Sleep Well Beast, les Américains, qui ne se voient plus que pour composer et enregistrer des disques (trop de tournées, ça fatigue), interrogent en effet ici l’effroyable passage du temps, et la lassitude liée aux relations qui s’étirent de manière trop importante. Album désespéré mais sans drame, ce septième ouvrage accouche, aussi, de quelques merveilles – « I Still Destroy You », « Day I Die », « The System Only Dreams In Total Darkness » -, au sein desquelles certains pourraient aussi deviner, s’ils le souhaitent, une petite mise en cause de l’administration Trump. Car sur ce sujet-là aussi, il y a déjà suffisamment de lassitude accumulée…

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The National, Sleep Well Beast, 2017, 4AD, 57 min., photo par Graham MacIndoe, design par Pentagram