Suuns x Myriam Boulos – The Witness


Suuns x Myriam Boulos – The Witness

Troublante, cette pochette du nouvel album de Suuns. Encadrée par un aplat de couleur orange, une photographie expose un homme dénudé et allongé sur un lit. Rien de sexuel là-dedans, juste un corps au repos et dont le reflet semble provenir d’un miroir, sur lequel l’image est cadrée. Au-dessus de lui, des corps nus, de nouveau, mais de femmes cette fois, pas nécessairement sexualisées là encore. Elles sont les témoins d’un corps que le spectateur regarde, lui aussi. Tout le monde est témoin, everyone is The Witness, comme l’indique le titre de ce cinquième album du groupe montréalais dont Ben Shemie, le chanteur de Suuns, nous raconte les intentions cachées derrière cette pochette de disque photographiée par l’artiste libanaise Myriam Boulos et designée par le Studio Safar.

Suuns © Will Lew

The Witness. Quel sens donner à ce titre ?

Ben Shemie : De nombreux morceaux de cet album prennent le “témoignage” comme point de départ. Des témoignages issus de la “vraie vie”, des témoignages virtuels, individuels, collectifs. C’est un thème assez fort, quelque chose qui nous lie les uns aux autres. Nos témoignages collectifs des événements mondiaux, notre conscience collective, ou simplement un barrage d’informations bâti au jour le jour. Souvent, aussi, des témoignages hyper-normalisés en provenance du monde entier et semblable à de la pornographie.

Nous avions d’abord pour idée de parler de “témoins” comme le sont ceux des mouvements du Soleil et de la Lune – des constantes dans la vie de chaque être humain.

Les objets sont des choses que nous voyons tous également et que nous avons tous vus depuis la nuit des temps – comme quelque chose que nous avons tous en commun. Voilà le sens de ce titre.

Suuns © Will Lew

Dans quelle mesure doit-on lier ce titre de disque, The Witness, et cette pochette de disque ?

Ben Shemie : Toutes nos pochettes d’albums sont des photographies. Elles ont pour la plupart été prises par Joseph Yarmush, le guitariste du groupe. Pendant longtemps, elles ont mis en scène certains de nos amis de Montréal.

Pour illustrer The Witness, nous avons voulu conserver le support photographique, qui reste à nos yeux un support très puissant, mais avons décidé de change un peu notre “routine”. Nous avons en effet aussi des liens très étroits avec certains artistes de Beyrouth, où existe une scène artistique très dynamique et créative dont le travail nous a souvent beaucoup inspiré.

Après l’explosion qui s’est produite à Beyrouth, nous avons tous été témoins de cet événement incroyablement triste et profondément troublant. Nous voulions utiliser le travail de l’artiste libanaise Myriam Boulos, que nous avons découverte grâce à des amis et qui est une photographe extraordinaire. Tout s’est naturellement mis en place.

Myriam Boulos © Tenderness (2018)

La pochette de cet album est, dans sa composition, très différente de toutes les précédentes. Est-ce une volonté de marquer une évolution dans le son de Suuns ?

Ben Shemie : Le son de Suuns évolue toujours. C’est la meilleure partie d’un projet créatif. L’artwork est en effet très différent des disques précédents, et c’est effectivement aussi parce que la musique elle-même en est très différente.

Je suis heureux de voir le projet évoluer dans son ensemble. J’espère que ce disque marque une évolution du son du groupe – c’est le cas pour moi. J’espère aussi que cela se reflète dans l’œuvre d’art.

“Le témoin”, ça peut aussi être vous, ou moi, ou n’importe qui.

Ben Shemie

Qui est cet homme, nu sur le lit ? Est-ce lui, le principal “témoin” de cet album ?

Ben Shemie : Je ne sais pas qui est la personne sur la photo. C’est une image très évocatrice. À proprement parler, il n’y a pas de lien direct entre le titre du disque et le sujet de la photo. Ce n’est pas si littéral. Mais si vous souhaitez qu’il soit “le témoin” du titre, il peut l’être. “Le témoin”, ça peut aussi être vous, ou moi, ou n’importe qui.

English version

The Witness. What is the meaning of that title ?

Ben Shemie : A lot of the songs on this record are about witnessing. Whether be in real life, virtually, individually or collectively. It’s a strong theme and it is something that ties all of us together. It is our collective witnessing of world events, our collective conscience, or simply day-to-day barrage of information, and oftentimes harsh hyper-normalized witnessing of the entire world as pornography. This album uses that theme on many of the titles as a starting point. It started as an idea of witnessing the sun and the moon – these constants in our every human being’s life. The objects are things that we all see equally and have all seen since the beginning of time – as something that we all have in common.

What is the link between the title and the artwork ?

Ben Shemie : All of our full-length albums have been photographs. They have mostly been done by Joe, our guitarist in the band, and for a while our record covers featured friends of ours in Montreal. So, we wanted to keep the theme of a photographic cover. For this album, we didn’t feel like we needed to use the same routine or have any ties to what we did before but a photo has always been a very powerful medium.

We have strong ties to friends/artists in Beirut. There is a very vibrant and creative art scene, and we have been very much inspired by the work of some of our peers there. After the explosion in Beirut, we were all witness to this incredibly sad and deeply disturbing event.  We wanted to use the work of Lebanese artist Myriam Boulos, who we discovered through friends and who is an amazing photographer. It all seemed to make sense and all came together naturally.

The cover art of this album is very different than all the precedent ones. Is it a wish to mark an evolution in the sound of Suuns ?

Ben Shemie : It is always evolving. That’s the best part of a creative project.  The artwork is indeed very different from previous records, but also the music is very different from previous records. I am happy to see the project as a whole evolve, and for us to be able to push the line a little bit.  I hope that this record does mark an evolution of the sound of the band – it does to me. I also hope that it is reflected in the artwork.

Who is this man, naked on the bed ? Is it the witness of the title ?

Ben Shemie : I do not know who the person is in the photo. You would have to ask the photographer. It is a very evocative image. There is no direct link to the title and the subject of the photo per say – it’s not that literal.  If you would like for him to be the ‘witness’ that is in the title, he can be. It can also be you, or me, or anyone.

Le son

Après deux albums (Hold/Still et Felt) qui avaient été les réceptacles d’un son qui égaraient parfois l’auditeur à force d’expérimentations trop denses (lorsque l’on déconstruit tout, que reste-t-il des fondations ?), les membres de Suuns, devenu trio, proposent avec The Witness un disque bien plus accessible et porté par une intention quasiment jazzy. On a en effet parfois la sensation, avec ce cinquième album marqué par quelques grandeurs (le titre éponyme du disque et le morceau introducteur, “Third Stream “) d’une seule et même pièce qui déroulerait chacune de ses parcelles avec une subtilité toujours aussi évidente pour ce groupe décidément allergique au statisme et qui semble donc destiné à favoriser, toujours, le pas en avant qui devient pas de côté.

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Suuns, The Witness, 2021, Joyful Noise Recordings / Modulor, 37 min., artwork de Myriam Boulos et du Studio Safar