Süeür x Anna Séraphie x Koria — Süeür
La première fois que l’on tombe sur cette photo franchement frontale qui illustre la mixtape à venir de Süeür (trio rap aux productions post-punk), on la voit très bien (car il faut bien avouer qu’elle capte, dans la nuée d’images que l’on voit défiler chaque jour, spontanément l’attention), mais on la regarde relativement mal. Une voiture de sport, deux personnes dedans, les yeux floutés, et un filtre rouge qui donne à la scène des ambiances de fin de soirée qui a bien mal tourné. C’est la première impression qui domine, et ce n’est pas la bonne. Car pour au moins un des deux passagers de la voiture (et peut-être pour les deux, dans le cas où le don du plaisir équivaudrait automatiquement à la prise de plaisir…), la soirée se passe au contraire bien mieux qu’on aurait pu l’envisager d’abord.
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Une pipe dans une voiture en 2020 après me too, je sais que c’est compliqué et que ça peut être mal être interprété
Théo
On aurait dû faire un tour sur l’Instagram de Süeür, on aurait gagné du temps. Pas question de voiture accidentée ici, avec à l’intérieur, deux personnes en train de recoller les morceaux ou du moins, de tenter difficilement de le faire. Mais un garçon en train de recevoir les faveurs d’une fille au niveau de l’entre-jambes.
« Une pipe dans une voiture en 2020 après me too, je sais que c’est compliqué et que ça peut être mal être interprété. », se justifie spontanément Théo, tiers de Süeur et ancien batteur (le garçon a eu sa période post-punk et traînait en concert pour voir Girl Band, Iceage ou Idles, nous apprend-il). « La photo a été prise il y a trois ans par une fille, Anna Séraphi. Elle a toujours un appareil Kodak sur elle, elle a pris cette photo très tard en rentrant de soirée, à Arts et Métiers (Paris IIIe), en pensant que le mec dans la voiture dormait. Et puis, au moment où elle s’est approchée de la bagnole pour le photographier, elle s’est aperçue qu’il n’était pas seul… »
Pour cette mixtape, le groupe avait pensé une première cover faite de collages, mais qui « faisait trop rock à l’ancienne ». C’est l’animalité profonde de cette photo complètement spontanée qui est finalement revenue dans la tête du trio au moment d’illustrer ce disque-là. « L’image n’est pas une mise en scène, c’est tout l’inverse de ça. Elle m’a fait penser au côté sauvage que l’on peut parfois avoir la nuit, à notre partie sombre et incontrôlée, et c’est exactement de ça dont on parle dans Süeur. D’autant plus que qui dit « pipe », dit forcément un peu « sueur »… »
Le filtre rouge sur la photo, lui, est là non seulement pour résonner avec la couleur initiale de cette Dodge Charger (une voiture de collection rendue notamment célèbre par la série des années 80 Shérif, fais-moi peur), et également pour insister sur le côté passionnel de ce qui est en train de se tramer sous nos yeux. Le rouge, c’est bien entendu également l’idée du danger, de l’interdit, et aussi celle de la luxure. Comme pour signifier l’attitude moralement problématique d’un type qui, dans un quartier très aisé du centre de Paris, voit son corps flatté dans une voiture à la valeur exorbitante ? Cette fille-là, compagne du diable pour l’occasion, semble en tout cas avoir, et sur ce coup-là, une relative « Sympathy for the Devil », comme le chantaient les Stones…
Le son
Des textes posés comme des breaks de batterie, des productions aux tendances post-punk, et un trio qui se place « En Équilibre » entre deux genres que beaucoup opposaient jadis (le rock et le rap, pour faire simple), et que le trio fusionne sur un projet qui sent le souffre, et s’ouvre sur les autres. Süeur fait paraître une première mixtape qui a tout d’un album et qui dit les préoccupations d’une génération à qui l’actualité n’offre pas forcément le plus rayonnant des avenirs. D’où ce rouge, qui domine tout sur la pochette ?
SÜEÜR (Facebook / Instagram / YouTube)
Anna Séraphie (Instagram)
Koria (Site officiel / Instagram)
SÜEÜR, SÜEÜR, 2020, Sony Music, artwork par Koria