Sopoorific – Auras Around Humans


Dans l’univers de Sopoorific, il faut pénétrer lentement. Sur la pointe des pieds pour ne pas avertir qui que ce soit, pour ne pas risquer d’attirer l’attention ici, pour ne pas faire venir le danger d’ailleurs. Car dans l’univers façonné par Alison Flora, qui prend le nom de Sopoorific lorsqu’elle façonne cette musique ambient, cold wave, new age, il y a ce visage qui guette.

Spectre

Ses formes dégoulinent sur elles-mêmes car elles ne paraissent pas solides, l’œil traverse un verre qui pourrait être la coupelle associée au Graal, ou bien une coupelle, sans histoire ni mythe fondateur, issue d’un grenier poussiéreux et rarement visité. Dans tous les cas, il y a la sensation d’un spectre, malveillant et tourmenté, qui attend l’heure adéquate pour manifester plus nettement sa présence. Pourvu qu’il ne capte pas le mouvement exprimé par le déplacement des corps, qu’il n’accapare pas le son émis par la respiration contrariée d’une âme qui craint d’être, d’un instant à l’autre, dévoilée.

Sopoorific - Flesh Meshing (2018)
Sopoorific – Flesh Meshing (2018)

Prendre garde aux ombres

Déjà aperçue ailleurs (elle a réalisé quelques clips pour Cathedrale, groupe signé sur Howlin Banana dont nous avions évoqué le travail sur ces pages) et autrice de productions discographiques qui avaient abouti à un album paru sous forme de cassette audio en 2018 Flesh Meshing, Alison Flora, qui écrit aussi subtilement qu’elle compose, parle de son disque comme d’une “pièce quelque part sous une soupente, éclairée à grand-peine par un œil de bœuf jauni et opaque”. Elle poursuit :

Les lattes du plancher noirci, effondré çà et là par l’humidité, émettent d’inquiétants craquements. Dans l’air chargé de poussière survit une antique odeur d’encens. Autour se devinent, fantomatiques, des objets de tailles et formes diverses couverts de draps gris délavés. À mesure que l’imagination se dilate, gonfle un murmure de raclement d’os et la rumeur des tambours d’une cérémonie lointaine.

Et concernant cette image, réalisé au pastel sec ? La productrice, qui est également plasticienne et photographe : “C’est un univers flottant teinté de bleu dans lequel une entité au visage transparent et cheveux argentés semble méditer au travers d’une coupe pourpre, symbole de la féminité et des émotions. L’image peut rappeler une mystérieuse carte de tarot”, dit Flora dans sa langue à elle. C’est une image effroyablement angoissante, dirait-on dans notre langue à nous. Pour vivre heureux… vivons caché.

Difficile de ne pas penser au terrible Cri du peintre norvégien Edvard Munch en posant pour la première fois les yeux sur cette image et effectivement, ce tableau composé en 1893 et dont sa version la plus célèbre (il en existe cinq) est exposée au musée Munch d’Oslo, est une source d’inspiration centrale, bien qu’à la différence du Cri qui disait l’explosion d’une prise de conscience terrifiante, pour Auras Around Humans, “cette prise de conscience d’un monde altéré est vue comme une libération à la fois extatique et douloureuse”.

Edvard Munch, "Le cri" (1983), Huile sur toile, National Gallery of Norway
Edvard Munch, Le Cri (1893), Huile sur toile, National Gallery of Norway

« Une libération extatique et douloureuse« . On s’arrêtera sur ces mots. En regardant dans les yeux cette forme qui gît sous la musique ébahie d’une artiste à qui il faut bien reconnaître une personnalité artistique troublante.

Sopoorific (Site officiel / Instagram)

Sopoorific, Auras Around Humans, 2021, Grande Rousse disques, 42 min., artwork d’Alison Flora