Sol Hess x I.J. Berthe Hess — The Missing View


Voici le portrait d’une jeune femme, pas forcément ravie d’être portraitisée de la sorte (en tout cas, c’est ce que suggère sa moue relativement indifférente), représentée assise sur une chaise, un bouquet de fleurs sur les genoux. Le regard est, sinon triste du moins lointain, il porte en lui les traces d’une mélancolie certaine, une mélancolie proche, sans doute, puisqu’il s’agit ici de liens du sang (et donc un peu de l’esprit ?), du folk un brin ombrageux proposé par Sol Hess, musicien anglais installé à Bordeaux qui tente pour la première fois et après diverses collaborations (Sweat Like An Ape!, Sol Hess & The Sympatik’s…) l’aventure en solo.

Intime

Ce disque-là fut composé dans l’intimité isolée d’un logement bordelais, avant un confinement qui toucha beaucoup de monde et notamment cet artiste qui décida d’illustrer ce premier disque par un autre type d’intimité, mentale cette fois. Cette image est en effet un portrait de la mère de So Hess par sa grand-mère, la peintre I.J. Berthe Hess, une artiste dont une petite bio très poétique affirme que, chez elle, « Chaque coup de pinceau est court, net et infiniment petit. La surface de la toile y devient une myriade de grottes, qui captent et contiennent la lumière qui la réfléchit sous mille angles différents ». Le nom donné à cette peinture ? Ma fille Mauricette Fortunée.

La mère par la grand-mère ? Il y a peut-être bien ici, pour le musicien expatrié en Gironde, un retour à une certaine forme d’essentiel, et l’occasion, parce que le temps, manifestement, le permettait, de faire le point sur les piliers qui structuraient les existences, et sur ceux qui étaient sur le point de s’effriter.

L’idée que les choses n’existent que parce que les gens les regardent 

So Hess

Sol Hess est parti de cette phrase, très belle là encore, qui figure au sein de la chanson « Ants In The Leaves », « Darling have you ever noticed that the view is actually just busy admiring you ? If you go away it’ll disappear, please make it stay, make it stay right here. ». Il nous écrit : « Ce morceau, c’est l’idée que les choses n’existent que parce que les gens les regardent, et qu’en disparaissant, ces choses disparaissent avec eux. Je crois qu’il y a un endroit où tout coexiste, les existences du passé, du présent et celles à venir. En réunissant trois générations, celles de ma grand-mère, de ma mère et la mienne, ma pochette est un hommage intime à cet endroit. »

So Hess © Gaëlle Encrenaz

Cet endroit, c’est donc la Missing View, espace mental dans lequel rien ne se perd ni ne s’évapore mais co-existe, au contraire. Les regards qui se posent quelque part ne se perdent pas vraiment ? Quelle belle idée pour Sol Hess, et quel beau disque que ce Missing View, porté par un folk minimal et très délicat (l’alliance guitare + voix qui fait des ravages lorsque l’on sait faire en sorte d’articuler les deux) à écouter, au coin du feu ou à l’abri de lui, en se plongeant dans un regard intense, celui qui fut capté par une mère regardant sa fille, et qui fut repris, plus tard, par un fils qui voulut, à son tour, permettre à la chaîne de ne jamais se briser.

Sol Hess (Facebook / Instagram)

I.J. Berthe Hess (Site officiel)

Sol Hess, The missing view, 2021, Platinum Records / P572, 34 min., artwork de I.J. Berthe Hess (peinture), et Gaëlle Encrenaz & Célia Belisle Fabre (photo).