Simo Cell & Abdullah Miniawy x Julien Humbert x Clément Bertrand — Kill me or negociate


D’un côté Simo Cell, producteur et DJ nantais aux idées et aux productions plurielles (son travail mène les musiques électroniques vers des territoires techno, trap, drum’n’bass), qui signait il y a quelques mois une tribune très juste et très partagée sur Libération, où il rappelait la nécessité, pour les acteurs du monde de la nuit et du DJing, de prendre enfin en compte le facteur écologique au sein d’une industrie qui donne parfois la sensation de végéter bien loin de ces problématiques-là.

« Considérer l’avion comme le dernier recours pour me déplacer et voyager, le plus possible, en train au sein d’un même continent. Pour cela, il est nécessaire de penser les concerts dans une logique de tournée afin de mettre en place des tours qui font sens économiquement et écologiquement. C’est une tâche compliquée qui ne se fera pas en un jour car elle nécessite en amont un gros travail logistique et un effort de collaboration entre bookers, promoteurs et artistes. Elle s’inscrit dans une logique de transition à moyen terme. » 

De l’autre Abdullah Miniawy, voix porteuse, en Égypte, d’une colère légitime et là encore, plurielle, qui avait vu les projecteurs braqués sur son talent protéiforme (Abdullah s’exprime par le biais de la musique mais aussi par celui du théâtre ou de la poésie) à l’occasion du projet Le Cri du Caire, salué par un festival d’Avignon 2018 sensible à ce spoken-word poétique, révolté, intensément habité par l’idée originelle de liberté.

Horizons

Deux artistes a priori issus d’horizons bien lointains, et regroupés au sein d’un duo inédit dont les créations paraissent ces jours-ci sur un album — Kill me or negociate — nommé comme une manière de dire qu’ici, il y aura de la place pour les compromis. À condition qu’ils soient gorgés d’or, comme ce visuel proposé par un duo (Julien Humbert, artiste 3D a travaillé sur la conception du pied, au côté de Clément Bertrand, le graphiste du label BFDM, sur lequel sort ce disque) qui a su humecter dans une image follement simple une sensualité et un impact follement efficace ?

Un pied qui paraît être fait d’or et qui végète dans un sable qu’on jurerait, compte tenu du contexte dans lequel il apparaît — pour illustrer l’album d’un Nantais accompagné d’un Égyptien — être celui du désert Libyque, qui parcourt une partie de l’Égypte. Le pied, puis la cheville, et plus rien. Le reste du corps est-il enfoui dans le sable, ou s’arrête-t-il ici ? Ce sont peut-être bien les vestiges d’un ancien pharaon, d’un noble ou d’un notable, ou peut-être simplement ceux d’un être qui serait venu d’ailleurs, de bien loin dans le cosmos, avant d’atterrir et de finir ensablé ici ? Qu’en pense Simo Cell ?

« Derrière l’imaginaire du pied se cache pour nous l’idée de marcher, et d’explorer. Nous passons tous les deux beaucoup de temps à marcher pour nous déplacer, c’est un moyen de  transport que nous privilégions. Marcher, c’est prendre le temps, mais c’est aussi se déplacer par ses propres moyens. C’est l’idée d’émancipation qui nous plaisait. »

Émancipés

L’émancipation… En étant prisonnier du sable ? Illustration énigmatique à laquelle il n’est sans doute pas nécessaire de vouloir trouver une réponse trop formelle. Le producteur, lui, préfère au contraire laisser la porte ouverte. Sur un désert immense, dont il serait risqué de vouloir le parcourir avec la simple aide de ses pieds ? « Pourtant, le pied est aussi à l’arrêt, figé. Il semble avoir été laissé là. Comment a-t-il pu se retrouver ici ? Il y a quelque chose de très poétique derrière ce visuel. Est-ce une relique perdue ? À qui a-t-il pu appartenir ? »

Le son

Mystique et métaphysique, ce court album (ou très long EP) de six titres ajoute aux productions technoïdes de Simo Cell, parsemées de cuivres sensoriels, les incantations, chantées, d’Abdullah Miniawy, et accouche d’un objet dont les premières pierres furent posées à Pantin, dans le studio de Simo. De Pantin au Caire, les distances sont décidément bien courtes, et c’est sans doute à pied que ce chemin-là a été mené ou en tout cas, avec la volonté de prendre le temps, tout autour, de regarder le monde qui mute.

Simo Cell (Facebook / Instagram / Twitter)

Abdullah Miniawy (Site officiel / Facebook / Twitter / Instagram / YouTube / Bandcamp)

Simo Cell & Abdullah Miniawy, 2020, BFDM, Kill me or negociate, artwork de Julien Humbert et Clément Bertrand