Sega Bodega x James A Gould — Salvador


Cela avait été une surprise pour ceux qui suivaient jusqu’alors son travail quand, en 2018, Sega Bodega avait posé en couverture de son EP self*care, immortalisé par la chanteuse Hannah Diamond en train d’embrasser langoureusement son double. Pour cause, le producteur anglais semblait éviter toute exposition visuelle depuis la parution, en 2015, de son premier EP ; illustrant ses sorties, notamment son diptyque SS – où il ré-imaginait les bandes-originales d’une vingtaine de trailers de films cultes —, par de simples aplats de couleur, estampillés des crédits des longs-métrages sélectionnés.

Une discrétion probablement permise par sa position de producteur pour des artistes alors émergeantes comme Shygirl ou Coucou Chloé, mais d’une relative courte durée puisque la naissance, en 2017, de son label Nuxxe semble avoir signé pour Sega Bodega la fin d’un relatif anonymat. Il faut souligner que le projet a vite été couronné de succès, puisqu’en plus des parutions des collaboratrices habituelles du producteur, la maison d’édition s’est vue chargée de distribuer le premier album de la très en vue Brooke Candy, gratifiée d’une mémorable apparition de Charli XCX sur le morceau « XXXTC », ainsi que l’EP The Rite of May d’Oklou, nouvel meilleur espoir de la scène française indépendante.

Difficile, dès lors, de continuer à vivre caché : 2018 est donc l’année où Sega Bodega a décidé d’embrasser son destin et de se révéler au public. Autre nouveauté, l’artiste s’essayait désormais au chant, en reprenant sa comparse Oklou, d’une part, sur le single « Friendless », mais surtout sur ses propres compositions, notamment la désincarnée « kisses 2 my phone ».

Mais alors que sa voix, samplée tout au long de l’EP, servait surtout à enrichir ses productions club/pop, il semblerait que le producteur se soit mis, en 2019, à privilégier son chant. De ses timides débuts ne subsiste que l’auto-tune qui caractérise sa gestion des pistes vocales, jamais dénuées d’un certain flegme, tout aussi distinctif.

Une pâte retrouvée sur « U Suck », premier single de Salvador en forme de déclaration de « désamour », au sein de laquelle le chanteur se révèle, chantant – littéralement – à cœur ouvert ses déboires romantiques. En clip comme sur l’artwork, il s’affiche de nouveau, les cheveux cette fois teints en bleu – après une décoloration au blond sur self*care et avant celle au rouge pour Salvador.

Sous l’eau

Pour son premier album, le producteur anglais s’est de nouveau mis en scène, le visage plongé dans une eau des plus opaques. De quoi signifier, peut-être, un plongeon vers l’inconnu – dont un premier disque est souvent significatif, ce qu’à également récemment exprimé le rappeur français Maxenss, en couverture de son premier album –, mais aussi un premier pas vers une carrière plus solitaire, tant Sega Bodega s’est fait connaître en tant que producteur sur de nombreuses collaborations, là ou Salvador ne contient aucun featuring.

Un isolement dont le fond noir de l’artwork est garant, faisant appel à l’esthétique de l’isolation sensorielle telle qu’illustrée dans Stranger Things ou – même s’il ne s’agit pas du même procédé — Under The Skin.

Difficile, cependant, d’interpréter l’état d’esprit du producteur ; son visage fermé et son teint verdâtre ne laissant rien paraître. Et il ne faut pas compter sur les clips pour davantage d’indices : alors qu’il exprime sa solitude sentimentale dans « U Suck », se retrouvant piégé dans sa chambre en tête-à-tête avec son cœur, le revoilà coincé dans la vidéo de « Salv Goes To Hollywood ». Cette fois enfermé dans une pièce insalubre – l’esthétique oscillant entre les toilettes de Trainspotting, la black lodge de Twin Peaks et la salle d’attente de Beetlejuice —, le producteur se trouve plongé dans un univers lunatique, peut-être à l’image de sa condition et de son rapport aux postes de chanteur et de producteur.

Le son

Avant même sa sortie, Salvador semble s’imposer comme un pilier dans la carrière de Sega Bodega. Sans rien renier des expérimentation électroniques saturées qui caractérisent son style, le producteur s’apprête à prouver que sa voix n’est plus que la source à des samples servant à enrichir à ses compositions, mais bien des pistes toutes aussi porteuses de symbolique.

Sega Bodega (Bandcamp / Facebook / Instagram)

James A Gould (Instagram)

Sega Bodega, Salvador, NUXXE, 38mn., artwork par James A Gould.