Scratch Massive x Dan Amza – Garden of Love


Sur leur quatrième album proposé en commun – Maud Geffray a sorti, entre-temps, un premier album solo sorti chez Pan European – Maud Geffray et Sébastien Chenut ont décidé, avec Scratch Massive – leur projet de techno planante, introspective et spectrale – de parler d’amour. Ce ne sont pas les premiers à le faire – une étude montrerait très certainement que c’est même le sujet le plus étudié par les musiciens depuis que l’Église a autorisé la musique à ne plus se préoccuper que de religieux -, et pour le duo, c’est même la deuxième fois, en quatre albums, que le sentiment le plus ordinaire qui soit se trouve être l’objet principal d’un disque. Enemy & Lovers, le premier long-format du duo paru en 2003, évoquait en effet déjà l’amour, et les paradoxes douloureux que le mot implique.

Scratch Massive – Enemy & Lovers (2003)

« Je suis allé au jardin de l’amour…»

Garden of Love, le nouvel album de Scratch Massive, emprunte cette fois son titre, et donc sa thématique vaste, complexe, singulière et universelle, au poète romantique anglais William Blake, publié en 1794 au sein de son recueil Songs of Experience.

Je suis allé au jardin de l’amour
Et j’y ai vu ce que je n’avais jamais vu:
Une chapelle était construite au milieu,
Là où je jouais autrefois sur l’herbe.

Les portes de la chapelle étaient fermées
Et « tu ne dois pas » était écrit sur la porte.
Alors, je me tournai vers le jardin de l’amour
D’où naissaient tant de jolies fleurs.

Et je vis qu’il était envahi de sépultures
Et de tombeaux là où il devrait y avoir des fleurs.
Et que des prêtres en soutane noire y faisaient leur ronde,
Enchaînant avec des ronces mes joies et mes désirs.

Constat terrible d’une âme pleine d’espoir qui voit confronter le plus grand de ses fantasmes – celui de l’amour – à une très dure réalité – l’amour mène à la peine, et parfois même au trépas -, la teneur globale du Garden of Love de Blake auquel les Scratch Massive se réfère ici contraste avec le visuel qui accompagne leur disque, proposé par le graphiste Dan Amza. Sur cette photo que l’on jugerait extraite d’un site de rencontres qui ferait la promotion, plutôt que de la possibilité de relations éphémères et nombreuses, de relations stables et sérieuses, un homme et une femme unissent leurs mains, qui dessinent ensemble la forme que l’on donne habituellement au cœur, lorsque l’on veut symboliser l’amour net et incontestable. Sur cette photo où les visages sont absents et où ne voit quasiment que les mains, on comprend toutefois qu’il s’agit d’un mariage, et d’une union civile qui vient d’être conclue.

« C’est quoi l’amour en fait ? »

Sur la pochette, l’amour que l’on présente, idéal et durable, aux très jeunes enfants (et à beaucoup d’autres) afin de les rassurer ce qui va advenir, et à l’intérieur de l’album, via cette techno-pop tourmentée, introspective et évanescente, les doutes et les douleurs qui peuvent en découler, de ce sentiment insaisissable et bouleversant ? « Quand on a cherché à illustrer cette idée de Garden of Love, on s’est vraiment posé la question : ‘c’est quoi l’amour en fait’ ? Comment est-ce que l’on l’illustre, ce nirvana du Garden of Love ? Cette photo pose question, et est même, à nos yeux, un peu dérangeante », nous dit Maud Geffray, jointe par mail. « Cette photo, j’ai tout de suite flashé dessus, et Seb aussi. Il y avait plusieurs propositions de notre pote graphiste, mais celle-ci ressortait et écrasait un peu toutes les autres. Elle crée surtout un décalage avec le titre ». Et laisse entrouverte la porte de ce jardin dans lequel il y a toujours le choix de foncer, tête baissée, ou de pénétrer à pas feutrés, l’esprit conscient du danger qui se trouve dans ces lieux… 

Le son

« Garden of Love s’adresse à nos cœurs et à nos corps redevenus sensibles », nous dit un communiqué de presse qui souhaite mettre en avant, et à tout prix, le caractère introspectif et vulnérable d’un album qui cite le romantique William Blake en guise de référence suprême, et qui pose la question que les hommes se posent depuis la Nuit des temps (« qu’est-ce que l’amour ? »), via une techno qui plane, qui tape, qui s’envole et suspend des vols qui semblaient pourtant nous emmener très loin (« Dancer in the Dark », « Last Dance » etc). Et si des voix humaines (celle, bien sûr, de Maud Geffray, mais aussi celles de Romain Thominot de Grindi Manberg ou de Léonie Pernet) traversent les dix plages d’un album qui cumule les impressions de techno (douce) et de musique pop (glaciale), il se pourrait bien que quelques spectres le traversent, eux aussi. « Et je vis qu’il était envahi de sépultures / Et de tombeaux là où il devrait y avoir des fleurs. », disait William Blake.

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Scratch Massive, Garden of Love, 2018, Bordel Records, artwork par Dan Amza