SAGE x Ismaël Moumin – SAGE


SAGE x Ismael Moumin – Sage

Au début des années 50, alors que l’immense pays-continent indien vient tout juste d’obtenir son indépendance vis-à-vis de l’omnipotente Grande-Bretagne (qui trainait dans le coin depuis quasiment deux siècles…), les autorités locales se doivent de désigner une capitale nouvelle à l’État du Pendjab, divisé en deux, suite à la création du Pakistan. Afin de trouver une remplaçante à Lahore, devenue pakistanaise via cette division territoriale notable, et plutôt que de remodeler une ville déjà existante, on décide alors de créer, de toutes pièces, une ville nouvelle. Ce sera Chandigarh, bâtie au pied du gigantesque Himalaya, et dont la construction sera rapidement confiée, au Franco-suisse Charles-Édouard Jeanneret-Gris (aka Le Corbusier), après l’avoir été à l’Américain Albert Mayer.

À ce projet urbain monumental, dont on décide rapidement qu’il devra épouser les courbes d’une géométrie rigide (on symbolise par-là les prérogatives politiques et administratives de la ville, résolument moderne), est associé Pierre Jeanneret, cousin du Corbusier, qui reprend même totalement la tête du chantier suite au départ du célèbre architecte brutaliste suisse. De 1951 à 1966, Jeanneret aura aussi la possibilité de faire-valoir ses qualités premières, celles de designer et concepteur de mobilier, puisque parallèlement au vaste chantier urbain, on le sait créateur d’une typologie de mobilier ayant vocation à équiper les bâtiments administratifs (et aussi, quelques maisons individuelles). Une série de chaises, notamment, aussi bien inspirées par ses travaux avec Le Corbusier et Charlotte Perriand que par l’artisanat local indien, caractérisée par des lignes sobres et une construction puissante, dont la très élégante série désignée par l’appellation très significative de « Chaise écritoire »…

Chaise from Chandigarh

Cette chaise, saut soudain dans le temps, on la retrouve chez SAGE, le projet solo d’Ambroise Willaume de Revolver, qui en fait l’un des axes visuels centraux de la pochette de son premier album, sobrement éponyme. Parce qu’Ambroise est un passionné d’architecture et de design, et parce qu’il rêve depuis toujours de clamer son amour pour la cité solide de Chandigarh aux yeux du monde ? Pas forcément, non.

Dans cette histoire, le passionné de design, c’est en fait plutôt Ismaël Moumin, déjà responsable de la pochette du premier EP du projet (In Between), photographe de mode avant d’être concepteur de pochettes d’albums. Fin d’après-midi, métro Strasbourg Saint-Denis :

SAGE x Ismael Moumin - In Between

SAGE x Ismael Moumin – In Between

« J’avoue avoir une obsession pour les chaises, de manière générale et depuis très longtemps. Et c’est aussi l’un des centres d’intérêts de Pierre Le Ny, le label manager de Labelgum, avec qui j’avais déjà travaillé en faisant quelques photos pour Woodkid. Et on a justement parlé de chaises la première fois que l’on s’est rencontrés avec Pierre, tout simplement parce qu’il y en avait de très belles dans le studio où l’on se trouvait. J’ai alors eu cette idée pour SAGE. Je trouvais qu’il y avait quelque chose de très gentleman chez Ambroise, et que ça collait bien avec sa musique. J’en ai parlé avec Pierre et je lui ai montré des photos de chaises que j’aimais bien. On s’est arrêté sur celle de Pierre Jeanneret. »

Picasso, Bacon, et les faces difformes

À partir du moment où l’idée d’associer le corps d’Ambroise à la chaise de Jeanneret est arrêtée, une autre idée s’impose dans l’esprit d’Ismaël, évidente elle aussi. Si c’est bien le cubisme et les visages restructurés de Picasso (dont les personnages se trouvent aussi bien souvent assis) qui interviennent tout d’abord à l’esprit, c’est bien de l’Irlandais Francis Bacon qu’Ismaël avoue s’être avant tout inspiré :

Pablo Picasso - Portrait de Marie-Thérèse

Pablo Picasso – Portrait de Marie-Thérèse

« J’ai tout de suite pensé au travail de Francis Bacon, dont j’aime énormément l’œuvre et dont les personnages mis en scènes et aux visages déformés, justement, le sont très souvent sur des chaises. Les déformations sont aussi une récurrence dans mon travail. Ça semblait logique d’associer tous ces éléments ».

Francis Bacon - Trois études de Lucian Freud

Francis Bacon – Trois études de Lucian Freud

Ambroise, lui aussi présent dans ce café aux sièges élégants et confortables (il est donc important, chez SAGA, d’être bien assis), note le remarquable travail de retouche effectué après la séance photo (on peut voir la photo originale ci-dessous, proposée par Spotify), continue :

SAGE - Influences

SAGE – Influences

« J’aimais bien l’idée d’apparaître sur ma pochette sans y apparaître vraiment. Je voulais être présent, mais ne pas m’afficher de manière trop directe. C’est ce qu’est parvenu à faire Ismaël avec ce visage flouté et ce corps déformé. J’aimais bien aussi ce côté assez dérangeant qu’évoque cette photo, en contraste total avec mon nom de scène, que les gens associent au caractère alors qu’il s’agit en fait d’une référence au Sagittaire ».

La chaise, comme le chanteur, sont de trois-quart. Et laissent, ainsi, parce que l’objet et l’homme s’associent au point de se confondre (on a presque le sentiment d’être confronté, ici, à une seule et même entité, compacte), la sensation d’une élégance étrange.

Le son

Arrangements vastes quoique mesurés, piano caressé et beats électro bien menés (l’album est produit par la moitié des Shoes Benjamin Lebeau, expert en la matière), Ambroise Willaume effectue avec SAGE une mutation électronique bien orchestrée, sans perdre pour autant l’élégance vocale et instrumentale qui le catégorisait déjà hier, au sein de son ancien projet Revolver. Sagesse, tendresses et ivresses.

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Ismaël Moumin (Site officiel)

SAGE, SAGE, 2016, Labelgum, 35 min, pochette par Ismaël Moumin