Rone x Liliwood – Creatures


Rone x Liliwood X Creatures

Certaines collaborations relèvent de l’évidence absolue. C’est le cas de celle qui a amené Erwan Castex (aka Rone) et Aurélie Bois (aka Lili Wood) à travailler main dans la main sur l’ensemble de l’identité visuelle (pochette de l’album, clip vidéo, scénographie de la tournée) entourant Creatures, le troisième album de Rone une nouvelle fois paru chez InFiné, galaxie visuelle et sonore qui donne vie ici à une multitude de petites créatures identiques et dissociables.

Une collaboration logique

Le plus surprenant dans cette affaire, en réalité, est que cette collaboration n’intervienne que maintenant (on exceptera la conception par Lili Wood, très récente, du visuel du remix de Daho par Rone). D’abord, bien sûr, parce qu’Aurélie et Erwan sont relativement proches humainement parlant (ils viennent d’avoir une petite fille ensemble, Alice, dont on entend même les pleurs nourrissons sur « Calice Texas »…) Ensuite, parce que les deux artistes partagent avec InFiné un historique important (Rone y a fait paraître la totalité de sa discographie, et Lili Wood a créé la pochette de plusieurs compilations du label). Enfin, surtout, parce que ces Creatures transcrites ici paraissent se camoufler de manière ostentatoire dans l’univers des deux artistes depuis un temps particulièrement conséquent.

Rone x Étienne Daho x Lili Wood x En Surface

C’est le cas pour l’illustratrice Lili Wood, qui parsème ses images douces et enchantées (le plus souvent réalisées à l’aquarelle, au crayon ou par le biais d’une tablette graphique) d’une multitude de personnages biscornus et surréalistes avec tant d’insistance et de naturel que cet esthétisme monstrueusement naïf et fabuleusement réaliste se retrouve même dans la bio de son book officiel (« Lili Wood façonne un monde imaginaire acidulé et poétique, peuplé de personnages et créatures qui invitent à un onirisme enchanté »). Le plus souvent volatiles, figurés en situation de mouvement, ces personnages faussement naïfs préfigurent les formes spectrales mais gentilles, jamais immobiles, qui surgissent des live cinétiques de Rone, projetées sur des écrans géants, toujours disposés dans le dos de l’artiste uniquement accompagné sur scène par ses tables de mixage et son sourire jamais absent.

Visuellement présentes, ces Creatures se manifestent donc aussi d’un point de vue sonore, invoqués par les maléfices électroniques de Rone par le biais de ces sonorités glitchs insérées au hasard d’un beat house ou d’une longue plage d’electronica déviante. On croyait déjà voir intervenir leurs formes aléatoires et changeantes (Rone a cette capacité de moduler ses morceaux en live) sur Spanish Breakfast (« Aya Ama », « Poisson Pilote »…), sur Tohu Bohu (« Beast », « Beast , Pt. 2 », « Tag », sur le morceau justement nommé « Lili…Wood »…), et donc maintenant sur Creatures, qui accueille en son sein autant de bestioles fantastiques que de bestioles humaines, puisque cet album est marqué par les présences, remarquées, d’humains nombreux et prestigieux (Étienne Daho, Toshinori Kondo, Bryce Dessner de The National…)

Un visage, des monstres

En interview, et malgré ces collaborations, Erwan Castex affirme que ce troisième album est pourtant et de manière paradoxale le plus personnel de toute sa discographie. Consciemment ou pas, c’est en tout cas la première fois que son visage apparaît sur l’une de ses pochettes d’album, les deux précédentes pochettes focalisant successivement l’œil sur une multitude de saynètes dessinées à la craie (pour Spanish Breakfast) et sur une tour de Babel qui aurait été constituée dans une galaxie autre (pour Tohu Bohu). Les illustrations des deux atworks, soignées et remarquables, sont signées par le réalisateur et graphiste français Vladimir Mavounia-Kouka (dont on peut au passage jeter un œil à sa passionnante série dessinée « La Bête »).

Coupé au niveau du nez, ce visage ne laisse plus apparaître que ces cheveux, figurés comme s’ils étaient des tiges de paille un peu sèches, et ces lunettes rondes à la Lennon, dans lesquelles il est possible de distinguer une armée de petites créatures. Elles symbolisent les mille sonorités azimuts, tordues et déstructurées qui apparaissent dans ce troisième album, et pourraient tout aussi bien être issues d’un dessin animé jamais publié d’Hayao Mizayaki, tant leurs formes rappellent l’esthétique tendrement effrayante des productions animées du cofondateur du Studio Ghibli.

En fond visuel, on distingue une galaxie, la même qui revient dans les live du Français, et qui suggère celle dans laquelle se perd le héros innocent du Petit Prince. Sous les yeux cachés de Rone, une surface s’étend, pareille à sa chevelure. Deux créatures y apparaissent, une blanche et une noire. Peut-être symbolisent-elles la lumière et le sombre qui émanent de cet album loin d’être monochromatique.

On parlait de cheveux paillés. Mais on avait peut-être tord. Car c’est peut-être plutôt une couronne de lauriers que Rone porte là où l’on trouve normalement la masse chevelue, une couronne semblable à celle que l’on déposait jadis sur la tête d’un empereur tout juste sacré. Et cela tombe bien : dès lors que l’on parle d’electronica house et rêveuse, Rone fait justement figure, en France et ailleurs, d’empereur à l’aura incontestablement toute-puissante…

Le son

Plus organique que Spanish Sahara et que Tohu Bohu, Creatures convoque des êtres humains (François Mary et Étienne Daho, Bachar Mar-Khalifé…) là où il y n’avait essentiellement hier que des êtres digitaux. Les Creatures de Rone prennent vie, et surfent sur un mélange d’electronica frontale et de house adoucie pour, déjà, gagner leur indépendance. Un grand cri de liberté, qui rappelle, majestueusement, à quel point la musique électronique peut se faire la garante d’émerveillements absolus.

Rone (Site officiel / Facebook / Twitter / SoundCloud)

Liliwood (Site officiel / Twitter)

Rone, Creatures, 2015, InFiné, 49 min., pochette par Liliwood