Rihanna x Roy Nachum – Anti
« La pochette d’Anti est la meilleure pochette d’album que je n’ai jamais réalisée », admettait Rihanna lors du dévoilement – très cérémonieux – du visuel de ce 8e album, à l’occasion d’un événement privé organisé à la Mama Gallery de Los Angeles en octobre dernier.
Un avis partagé, sans doute, par tous ceux qui auront en tête les précédents essais visuels liés aux albums de la pop star barbadienne, eux qui la montraient, sans exception aucune, confrontée à des mises en scène photographiques faisant de sa plastique – certes avantageuse – l’objet principal des attentions, et en vérité, le seul intérêt manifeste de la chose. Se rincer l’œil, acheter des albums.
De la cover dénudée à la cover intellectualisée
Ici, avec Anti, on passe à autre chose. Rihanna apparaît toujours sur le visuel de son album (il faut vendre des disques, quand même), mais c’est une photo de la star non pas adulte, mais bien enfant – lors de son premier jour à la garderie, a-t-elle précisée – sur laquelle l’on a choisi de se concentrer. Et cela dit une volonté évidente de la part de la chanteuse de s’octroyer, en abandonnant la démarche de l’exhibition vendeuse, une stature délibérément pensante. Une transition « arty » ostentatoire, la même qu’avaient jadis connu ses ainées Jay Z et Beyoncé, pas tellement surprenante, si l’on prend en considération les récentes collaborations de Rihanna avec la maison Dior ou la qualité de ses derniers clips (en tête, celui du tarantinien « Bitch Better Have My Money », remarquablement scénarisé).
Dans une démarche qui rappelle celle de Lady Gaga, qui s’était offert en 2013 les services du plasticien pop Jeff Koons pour la pochette de son Artpop, Rihanna s’est ainsi entourée du plasticien israélien Roy Nachum, natif de Jérusalem mais actuel résident new-yorkais, un artiste dont elle a sans doute connu le travail via Jay Z, qui en plus d’être, lui aussi, relativement bien implanté dans la vie culturelle de la cité nord-américaine (on se souvient de sa performance donnée, en collaboration avec Marina Abramovic, autour du titre « Picasso Baby » à la Pace Gallery), possède quelques pièces de l’artiste au sein de sa collection personnelle.
Pour les aveugles et ceux qui savent voir
Entre la chanteuse et le plasticien, qui ont dû se rencontrer afin d’évoquer la probabilité d’un travail commun, la connexion humaine et artistique serait très vite devenue une évidence. Un point, particulièrement, les auraient rapproché : l’idée selon laquelle l’Art, avec un grand « A », se devrait d’être accessible à tous, et non pas seulement à une petite élite qui posséderait, seule, les moyens d’en comprendre le sens. Ainsi, les travaux originaux qui servent de point d’ancrage aux artworks d’Anti (recto, verso, intérieur du disque) doivent être considérés dans la lignée de Blind, cette série picturale réalisée par Nachum entre 2010 et 2015 et à l’intérieur de laquelle l’on retrouvait, déjà, les thématiques visuelles centrales que l’on trouve ici (la trainée rouge sang qui dégouline, les silhouettes enfantines flouées, le ballon, l’utilisation du braille, la couronne qui masque le visage…)
En s’attardant attentivement sur la série en question, on comprend même rapidement, et cela nuancera sans doute les avis et les éloges sur la question, que le travail de Nachum pour Rihanna n’est guère autre chose qu’une réadaptation, que l’on pourra juger largement paresseuse, des codes et des obsessions de cette série d’huiles sur toile, dont le premier épisode date tout de même déjà de cinq ans…
C’est particulièrement flagrant, notamment, lorsque l’on pointe le regard sur les pièces « The King », « Today i’m a King », « Brief Silence », « King », « Deep Water » et « Gold Power » (on notera la grande originalité des nominations des œuvres…), qui mettent toutes en avant un jeune garçon, de trois-quarts, avec mains le long du corps, torse nu, couronne devant les yeux et ballon foncé à ses côtés, soit le schéma quasi identique (remplacer « jeune garçon » par « jeune fille ») de ce que l’on retrouve sur la pochette.
Introspectif et universel ?
Un peu de paresse, on l’a dit, mais un peu de sens aussi, néanmoins. L’artwork d’Anti convoque ainsi la Rihanna d’hier (la photo d’enfant, le ballon) et celle d’aujourd’hui (la couronne en or). Trop grande pour la petite tête de la jeune fille, le couvre-chef régalien indique, lui, la difficulté, évidente, de porter ce succès que l’on devine largement pesant. Et le rouge est là pour renforcer cette impression de dangerosité oppressante, d’autant plus qu’il s’écoule sur un blanc virginal. On peut aussi y voir, métaphore récurrente lorsque l’on pose du rouge sur du blanc, l’évocation de la perte (saignante) de l’innocence et de la pureté d’une petite fille désormais confrontée au monde, cruel et vil, des adultes. Une démarche qui irait dans le sens de cette plate-forme promotionnelle (ANTIdiaRy.com) qui invitait les internautes à se balader au sein d’une maison à l’ambiance inquiétante (cheval à bascule, piano, lit, murs tagués au crayon…) comme si l’on se baladait alors à l’intérieur de l’enfance, révolue et modifiée par le passage des années, de Rihanna elle-même…
Une autre interprétation, moins introspective et plus universelle, dit la possibilité d’une métaphore sur l’aveuglement (métaphorique) de l’Homme, rendu non voyant par ces valeurs, ces désirs et ces principes consuméristes imposés par d’autres depuis la plus petite enfance et jamais remis en cause depuis. Dans cette logique, le ballon serait là pour représenter cette simplicité accessible et libérée, et la couronne, symbole ultime du clinquant et du brillant, là pour dire la vacuité du superflu. Impossible de voir ce qui est léger, lorsque l’on a devant les yeux ce qui est brillant.
Le titre de l’album et le sens qu’elle lui octroie –« une personne opposée à une politique, une activité ou une idée », rappelait-elle sur Instagram – et surtout l’utilisation de ce poème en braille sur la pochette (signé par l’Américaine Chloé Mitchell, poétesse favorite de Kanye West), renforcent cette idée. « L’idée, derrière le braille, c’était de montrer que les gens qui voient sont souvent les plus aveugles », confirmait Rihanna, toujours lors de la présentation de l’œuvre à L.A. Un poème que les voyants (ceux qui le sont vraiment et ceux qui croient l’être), peuvent lire, ci-dessous, dans son intégralité :
I sometimes fear that I am misunderstood.
It is simply because what I want to say,
What I need to say, won’t be heard.
Heard in a way I so rightfully deserve.
What I choose to say is of so much substance
That people just won’t understand the depth of my message.
So my voice is not my weakness,
It is the opposite of what others are afraid of.
My voice is my suit and armor,
My shield, and all that I am.
I will comfortably breath in it, until I find the moment to be silent.
I live loudly in my mind, so many hours of the day.
The world is pin drop sound compared to the boom
That thumps and bumps against the walls of my cranium.
I live it and love it and despise it and I am entrapped in it.
So being misunderstood, I am not offended by the gesture, but honored.
If they let us…
Le son
Seul « Work », un duo avec Drake (pas au niveau de ce « Take Care » idéal qu’ils avaient fait ensemble en 2011) a pour le moment été officiellement dévoilé en provenance d’Anti, ce 8e album cependant déjà disponible via Tidal. L’événement R&B, déjà, de cette année 2016. Que l’on soit pro ou anti Rihanna…
Rihanna (Site officiel / Facebook / Instagram / Twitter / YouTube)
Roy Nachum (Site officiel / Instagram)
Rihanna, Anti, 2016, Roc Nation Records, 43 min., pochette par Roy Nachum