Protomartyr x Trevor Naud – Formal Growth In The Desert


On n’explique pas toujours la raison du beau. Et on aurait sans doute tort de s’acharner à vouloir le faire. Avec son grain si particulier, l’intensité de ses deux figures et son symbolisme éminemment énigmatique, la pochette du nouvel album du groupe de Détroit Protomartyr (le chanteur Joe Casey, le guitariste Greg Ahee, le batteur Alex Leonard et le bassiste Scott Davidson) s’impose immédiatement comme l’une des plus fortes de l’année… sans que sa signification s’impose de manière formelle.

Protomartyr © Trevor Naud

Cachette

Sur cette photo (“Nikon F 35mm camera on Ilford XP2 and Kodak Portra 400 stocks, respectively”, précise son auteur Trevor Naud, minutieux, sur Instagram), l’un porte un masque qui lui recouvre le visage et lui donne l’allure de celui qui effraie. L’autre semble avoir ce masque prêt à être enfilé, mais ne l’a pas encore fait.

Celui qui effraie… Ou celui qui se cache à force d’être épié, jugé, regardé de biais par l’autre, celui qui a son avis bien établis et se permet même de le partager. Ceux qui parlent et ceux qui le subissent. Ceux qui souffrent et ceux qui en sont la cause. Ceux qui se planquent parce qu’ils ne peuvent plus vivre aux côtés de ceux qui s’exposent.

Joey Casey, le chanteur de Protomartyr, a passé une partie de ces dernières années aux côtés d’une mère atteinte de la déchirante maladie d’Alzheimer, une mère finalement décédée en 2021. Un drame vécu intensément chez un artiste qui n’a jamais donné l’impression de vivre les émotions à moitié, et dont cette photo pourrait bien être le cruel reflet. Devant la dureté du monde et des fils qu’il tisse pour vous, la cachette est parfois le remède le plus aisé. Vivre heureux pour vivre cacher. Ou comme le dit Joey Casey à propos de Formal Growth In The Desert, ce sixième album décrit comme une tentative de trouver des moyens pour “continuer à vivre” même lorsque cela semble malaisé : “Le désert est plus une métaphore ou un symbole (…) Des déserts émotionnels, ou un endroit ou un moment qui semble manquer de vie”.

Spectres

Un disque qui souffle le très chaud comme le très froid et introduit par le morceau “Make Way”, dont les quelques paroles suffisent à résumer le propos global :  “Welcome to the haunted earth / The living after life / Where we chose to forget / the years of the Hungry Knife.” Bienvenu à tous les spectres de la Terre, ceux dont il faut, après tout, bien accepter la présence pour pouvoir espérer continuer à traîner ici.

Protomartyr (Site officiel / Facebook / Twitter / Instagram / YouTube)

Trevor Naud (Site officiel / Instagram)

Protomartyr, Formal Growth In The Desert, 2023, Domino Records, 38 min., pochette de Trevor Naud.