Primevère x Julien Philips — II


Prendre le temps de discuter d’une pochette de disque où le protagoniste y figure nu, les jambes croisées, la clope à la main et les yeux plissés ? Avec deux chats qui vivotent aux alentours ? On saute, évidemment, sur l’occasion, pas si fréquente, car pas si facile à assumer pour celui qui voit ainsi sa musique illustrée. En l’occurrence Romain Benard, commandant de bord du navire Primevère après avoir vogué aux vents pendant dix piges, et avec sa sœur Pauline, sous l’effigie du bateau Ropoporose. Avec Primevère, Romain défend une musique sensible, pop, proche de la variété façon Biolay ou Belin, une musique où les mots ne sont pas du yaourt, mais des fruits qui se défendent, qui se choisissent, se marient les uns aux autres dès lors qu’on en connaît précisément les saveurs. Un disque illustré, ainsi, par une pochette curieuse, dont on discute avec Romain.

La première idée qui me vient en tombant sur cette image, c’est celle de l’artiste se mettant à nu avec sa musique. Est-on, avec ce postulat, sur la bonne piste ?

C’est exactement la bonne piste, un peu littérale peut-être, mais c’est ce que je souhaitais, en abordant la question du visuel de l’album. C’est mon deuxième disque solo, mais le premier où j’ose vraiment chanter en français, et aller vers un pan plus « chanson et variété », assez éloigné de tous mes précédents groupes. Me faire représenter nu sur la pochette était une manière littérale d’exprimer ce côté « à nu », tout en exploitant quelque chose d’un peu cocasse, irrévérencieux si j’ose dire.

Primevère © Achiel de Vlerk

Quelque chose me dit que c’est toi que l’on voit représenté sous le pinceau de Julien Philips, à nu aux côtés de ces deux chats en conflit, d’un environnement verduré et d’une clope à moitié éteinte. Pourquoi cette mise en scène ?

C’est effectivement moi, en compagnie de mes deux chats, Karaba et Mama. Représenter des animaux au premier plan du tableau est un clin d’œil à mes années universitaires en Histoire de l’Art ; c’était un choix iconographique très répandu à la Renaissance, comme dans le tableau Les Epoux Arnolfini de Van Eyck. Dans ce contexte, les animaux représentés apportaient du signifiant à l’image, des codes propres à la sémiologie de l’époque. Le chien, par exemple, avait la charge symbolique de la loyauté, de la fidélité. Quant au décor, son côté mystérieux et peu suggestif permet de garder le regard sur le plan principal.





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L’artiste qui se met à nu en vous livrant sa musique ? Retour sur la pochette du second album de Primevère, un ex de Ropoporose lancé en solo et qui connaît ses classiques (et « Les Époux Arnolfini » de Jan van Eyck)  🐈 🌳 1434, Huile sur toile, National Gallery (Londres). Photo prise par Gennadii Saus i Segura — Travail personnel, CC BY-SA 4.0

Les chats qui se chamaillent. Est-ce le hasard, ou une métaphore de quelque chose qui n’apparaît pas si simplement à vue d’œil ? 

Ici, le choix est plus affectif que symbolique, car j’avais envie de voir représentés deux êtres que j’aime beaucoup. Mais on ne sait effectivement pas trop s’ils jouent ou s’ils se querellent… il y a du signifiant partout, à chacun d’interpréter les éléments.

Ce tableau est-il le reflet de la pose d’un modèle devant l’artiste, ou est-ce une image composée à partir d’éléments plus ou moins imaginaires ?

J’ai envoyé à Julien, le peintre, une photo de moi assis sur une chaise en plastique blanche, en caleçon, dans un jardin, avec la pose souhaitée. Il a eu la liberté de retirer la chaise, le caleçon, et de remplacer l’environnement par quelque chose de plus onirique, indéfini.

Comment l’idée de cette pochette, initialement, est-elle née ?

Pour mon premier album, sorti en 2020, j’avais composé la pochette avec une photographie de moi. Pour le deuxième, je trouvais chouette l’idée de changer de médium, mais de garder le portrait comme leitmotiv, étant donné que je fais presque tout sur le disque. Si on a bien le droit de cultiver son égotisme, c’est bien en sortant des disques !

Primevère — Primevère (2020)

Pourquoi avoir fait appel à Julien Philips pour ce travail ?

Je le connais de réputation depuis longtemps, car nous avons beaucoup d’amis en commun, et je savais qu’il exposait régulièrement sa production picturale dans des lieux que je connais bien à Tours, y ayant habité huit ans. En admirant, il y a plusieurs mois maintenant, ses séries de toiles, je me suis mis à rêver d’un portrait peint, avec son style qui mêle à un réalisme impressionnant une sorte de surréalisme new age. C’était, encore une fois, un moyen chouette de consacrer quelque chose de formaliste, sans s’interdire une certaine fantaisie.

Le titre de l’album, son image. Y a-t-il un lien entre les deux ?

Pas vraiment, étant donné que le titre est sobrement II. Je n’avais pas envie d’induire quelque chose par le titre de l’album, de manière générale ce n’est pas mon fort. J’ai envie de penser que les chansons qui le composent, dans leur narration, leurs paroles ou leurs titres, parleront mieux qu’un indicatif général.

Primevère, II, 2022, 39 min., illustration de Julien Philips