Pond x They Make It In The Basement – Tasmania


En 1978, et dans l’optique de la Gay and Lesbian Freedom Day Parade de San Francisco, le graphiste et militant américain Gilbert Baker dessine et designe les bases du drapeau qui s’imposera très rapidement comme celui accompagnant chaque manifestation (politique, sociale, commerciale…) liée à la communauté LGBT dans le monde. Huit bandes de huit couleurs, bientôt réduites à six pour des raisons purement techniques : le rouge pour la vie et la guérison, le orange pour la santé et la fierté, le jaune pour la lumière du soleil, le vert pour la nature, le bleu pour la sérénité et l’harmonie, le violet pour l’esprit.

Symbole universel de tolérance, d’ouverture d’esprit et de diversité, associé aux luttes de protection de l’environnement et, de manière plus générale, aux manifestations mettant le mot « paix » au centre des enjeux, ce drapeau est aujourd’hui utilisé (de manière modifiée, puisque le violet est par exemple absent et que d’autres nuances ont été ajoutées) par Pond, le groupe australien mené par le chanteur Nick Allbrook et produit par Kevin Parker (l’omnipotent leader de Tame Impala), un archipel de couleurs là pour symboliser les luttes que le groupe évoque au sein de ce huitième album préoccupé de lutte pour le développement durable, d’anti-masculinisme, d’anti-racisme, de préservation de l’eau sur une planète qui en regorge mais dont certains en sont privés.

À Gonzaï et à Samuel Regnard, ils déclaraient récemment à propos de cet artwork signé par l’agence de design They Make It In The Basement, librement inspiré du travail de l’artiste Ellsworth Kelly, peintre et sculpteur abstrait américain dont l’œuvre peut être apparentée au courant du minimalisme : « La Tasmanie est en bas à droite, elle est d’un bleu profond. Plus on s’en éloigne, plus les couleurs deviennent chaudes. Elle échappe encore à l’inévitable, mais rien ne dit que dans quelques années, elle soit rouge, elle aussi. Le bleu, c’est l’eau, c’est la nature, c’est ce qui nous maintient en vie. »

Ellsworth Kelly, Méditerranée

Une pochette envisagée ainsi, non seulement comme un message de paix à destination de tous ceux qui ont envie de la faire, mais également comme une sonnette d’alarme. Tous en haut de l’artwork, d’un rouge vif et profond, un point culminant en train d’imploser et de se gorger de cendres, représentations évidentes des terres qui basculent de manière irrémédiable dans le chaos climatique et social, et tout en bas, encore à l’abri du fracas, le bleu vif et vital, celui de la Tasmanie donc, État australien loin d’une île principale qui paraît déjà loin de tout (la Tasmanie est situé à 199 km de la côte sud-est de l’île principale de l’Australie…) et qui fait figure, chez Pond, de territoires encore préservés du bordel global du monde.

« Tasmania », la chanson-titre du disque, évoque d’ailleurs cette possibilité, très concrète pour Nick Allbrook and co, de trouver dans l’État du Diable de Tasmanie une terre propice à l’isolement et à la création de tous les instants. Pour vivre heureux, vivons cachés. Avant que la terre tout entière ne soit sur le point de cramer ?

Le son

Lorsque l’on brandit fièrement un drapeau associé aux combats pour les droits des communautés gays et le droit des humains à vivre dans la paix la plus totale, c’est forcément qu’il y a une guerre qui couvre quelque part. Avec Tasmania, et dans la lignée du déjà très politique The Weather, les Australiens de Pond, originaires de la ville de Perth, livrent un disque urgent qui formule ses combats par le biais d’un prog rock psychédélique, synthétique, funky, vocodé et dansant. Avant que tout ne s’effondre, et qu’on ait tous à se réfugier dans l’un des coins les plus isolés du monde afin de le saccager lui aussi – en Tasmanie donc -, il y a intérêt à profiter des denrées élémentaires que la reine Terre se propose d’offrir. « I might go shack up in Tasmania / Before the ozone goes / And paradise burns in Australia, who knows ?  Who knows ? »

Pond (Site officiel / Facebook / Twitter / Instagram / YouTube)

They Make It In The Basement (Site officiel)

Pond, Tasmania, 2019, Interscope Records, artwork par They Make It In The Basement