Ploho x Elena Charobay — Фантомные Чувства


Dans l’ancienne Russie, celle des Tsars qui gouvernèrent l’immense territoire de ce pays qui, sur une carte et dans les faits, semble ne jamais avoir de fin, les poupées (de chiffon, pas les matriochkas qui sont en fait arrivées bien plus tard, et qui furent même importées au XIXe siècle… du Japon !) possèdent des vertus magiques qui ne concernent pas que l’enfant qui la possède, mais également ses parents qui la conservent, jusqu’à la fin de leurs jours, parfois. 

Poupée traditionnelle russe © http://lydia.jacquemin.free.fr

Poupée de cire, poupée de songes

Certaines poupées, ainsi, protégeaient les enfants de la fabrication de mauvais rêves, et c’est notamment pour cela que la plupart d’entre elles ne possédaient pas à proprement parler de visage (pour que le diable ne puisse pas s’emparer de son âme…). Elles sont, en Russie, partie intégrante d’une certaine forme de culture populaire.

Les enfants deviennent des adultes mais les poupées sont donc, bien souvent, conservées par leurs propriétaires. Ils sont la persistance mémorielle de celui qui a les a offerts et qui finit, à son tour, par basculer dans le monde de ceux qui ne vivent plus. Une sorte de Phantom Feelings donc.

Ploho

« Les sentiments des fantômes » en français, ou « Фантомные Чувства » en russe. Voilà le nom d’un disque conçu du côté de Novossibirsk, en Sibérie occidentale, et qui sonne comme une vague eightie, mélancolique et sensible, de revival post-punk curtisien — les fantômes de Joy Division, en 2021, en Sibérie, ou l’un des trop rares bienfaits de la mondialisation —. Le groupe a confié la création de cette pochette de disque à la designeuse Elena Charobay (elle, travaille à Moscou). L’album s’appelle donc Phantom Feelings et pour l’illustrer, il fut rapidement question de trouver « une forme qui représenterait l’idée de conserver les émotions et les sentiments dans un objet simple ». Elena précise.

« En Russie, de nombreuses histoires folkloriques traditionnelles et contes de fées contenaient des attributs magiques et rituels comme des vêtements dotés de pouvoirs surnaturels, des bijoux ou des poupées. Celles-ci sont dotées, dans la culture moderne, d’attributs différents, mais cela signifie tout de même, de la part du donneur de la poupée, une certaine forme d’amour. ».

Tête de lièvre, corps de Pierrot

Cette poupée-là, il faut tout de même le savoir, est un lièvre, un animal lui aussi « lié aux contes de fées traditionnels ». « Les lièvres étaient des personnages positifs et savaient tout sur les autres animaux et les sorcières de la forêt, ils faisaient partie des animaux qui pouvaient aider les enfants lorsqu’ils se perdaient accidentellement dans les forêts ».

Et si l’on croit reconnaître aussi vaguement, dans ce lièvre ami des plus petits, le personnage de Pierrot, poupée liée cette fois au vieux théâtre français, c’est parce que c’est bien d’un mélange du lièvre russe et de Pierrot qu’il s’agit, lui qui, dans la version russe de Pinocchio, « est un poète triste et amoureux ». Le lièvre emphatique et protecteur, le Pierrot emplit d’une tristesse dévorante… Et les sentiments profondément enfouis du fantôme qui s’incarnent dans ce personnage complexe spécialement créé pour un album qui l’est au moins tout autant.

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Elena Charobay (Instagram)

Ploho, Фантомные Чувства (Phantom Feelings), 2021, Artoffact Records, artwork par Elena Charobay