Perez x Aldéric Trével — Surex


Les yeux exorbités, le regard halluciné, les traits étirés, Julien Perez expose sa silhouette de trois quarts sur la cover de Surex, son troisième album qui fait suite à Saltos (2015) et à Caverne (2018). Sont-ce les lumières toxiques et inflammables d’« Hiroshima » (le nom de l’un des titres de cet album), que Perez contemple ainsi, apeuré comme si c’était le Jugement dernier qui se présenterait devant lui ? Une référence au titre du disque, plutôt. « Si on te balance une grosse lumière dans les yeux, tu as tendance à les fermer, et non pas à les ouvrir. Il n’empêche que là les yeux sont ouverts, comme une bête qui se trouverait en plein milieu de la route et devant les phares d’une voiture. »

Avatar

Sur cette cover, c’est donc Julien Perez ou plutôt, c’est son avatar, créé pour les besoins de ce disque par Aldéric Trével (un artiste passé par les Beaux-Arts et branché créations 3D depuis quelques années), initialement afin de mettre en place une série d’animations 3D à destination des réseaux sociaux, parce que, y a rien à faire, un musicien, et encore plus lorsqu’il est amené, via son projet, à chanter, est soumis à la contrainte permanente de l’incarnation de cette musique. Compliqué d’y couper. « J’aimais bien léguer à mon avatar toute une partie du taf », résume Perez. Toujours mieux que de se photographier en selfie chaque jour que la vie fait, en studio, afin d’annoncer à sa communauté Facebook et Instagram « work in progress ».

« Pour créer cet avatar, j’ai dû entrer dans une pièce entourée d’appareils photo. Là, on a fait un scan du volume de mon corps et de mon visage via tous les points de vue possibles. Une fois terminé, Aldéric pouvait jouer avec mon avatar comme l’aurais fait n’importe quel réalisateur de film. J’ai tellement été enthousiasmé par le rendu que je me suis dit finalement que ça allait également être la pochette ».

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Ensemble, Julien et Aldéric ont donc travaillé cette image et la silhouette de Perez, l’ont animé, l’ont rendu expressive, jouant au Docteur Frankenstein offrant la vie à sa créature démoniaque. « Une fois l’avatar créé, ça a quasiment été un travail de sculpteur. Aldéric a même modélisé des gouttes de sueur ! » Et puis c’est le studio Spassky Fischer qui a pris le relai afin d’intégrer l’avatar à la pochette d’un disque qui met en valeur, au premier coup d’œil et même au second, trois couleurs distinctes : le bleu, le blanc, et le rouge. La raison de cette montée soudaine de patriotisme ?

Cocorico

« De tous les disques que j’ai sortis jusqu’ici, Surex est celui qui se montre le plus ouvert sur mon environnement. Je ne m’imprègne plus uniquement de mon moi intérieur mais aussi de ce qui se passe autour. J’y évoque des sujets de société qui étaient certainement moins visibles avant, et ça faisait ainsi sens de rappeler sur la pochette mon encrage dans un pays précis, dans sa culture, et dans tout ce que cet environnement peut comporter d’angoissant ».

Je voulais que dans l’image, on constate l’angoisse, la sidération.

Perez

Angoissant oui, c’est le mot. Car ce n’est pas forcément la France du dernier Mondial de foot, avec communion générale et la rue entière sur les toits des voitures, qu’évoque cette pochette, mais plutôt les attentats de Charlie puis du Bataclan, la montée toujours plus pressante du Rassemblement National, les mouvements sociaux qui se transforment en grève et en bavures policières. Le disque s’appelle Surex ? « Je voulais qu’il sonne comme une sorte d’antidépresseur. Je voulais que dans l’image, on constate l’angoisse, la sidération. Cette image, c’est quasiment celle d’un cyborg. Il y a l’idée d’ambivalence, de révélation, d’état de grâce, d’inquiétude… Je voulais qu’on ne sache pas trop sur quel pied danser, et s’il fallait s’enthousiasmer ou au contraire, s’inquiéter ».

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Le son

L’histoire sonnait « pop kraut » sur l’EP Cramer (c’était l’époque Dirty Records) « pop Daho » sur Saltos, puis « pop techno » sur Cavernes. Elle sonne toujours pop, puisque l’ADN est là, mais celle-ci s’enrobe cette fois d’habillage free, house, trap, psyché, baroque, et évoque même, et voilà une surprise… le Booba version vocodeur sur le très étonnant « Ticket ». Sur Surex, Perez se réinvente sans s’éloigner trop loin des bases, lui qui assure « ne pas être un artiste de la répétition ». Il dit : « Il y a sans doute plus de voyages sur cet album-là que sur les précédents. J’aime que chaque disque mute, et faire à chaque fois un peu peau-neuve. Mais pour moi, ça reste de la pop ».

Une pop qui s’éloigne des trajectoires quasi romanesques de ses premières productions (le très culte « Le prince noir », « Une autre fois », « Les Bars des Musées », « Gamine »…) pour se projeter ailleurs, vers des épisodes qui mêlent le politique (ou du moins, le sociétal) et le fantasmagorique (« Hiroshima », « Le Sable rouge »…) et en ressort un disque qui atteste une fois encore de la place prépondérante, quoique sous-estimée, de Perez dans la création musicale en français de la dernière décennie.

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Perez, Surez, 2020, artwork par Aldéric Trével (création 3D) et Spassky Fischer (design graphique)