Oscar Scheller x Frederick Stisted — HTTP404


La première fois que l’on constate l’impossibilité de rentrer parfaitement dans le moule qui a été conçu par d’autres, par tous, par personne et sans que l’on sache franchement comment (qui, au juste, fabrique les fondations des carcans ?), bien souvent, c’est le vertige, l’angoisse, la chute dont on ne se relève parfois jamais. Qu’est-ce qui fait que certains sont plus à la ramasse que d’autres, socialement parlant ? Une donnée qui a mal été intégrée par le géniteur suprême, sans doute, et qui fait vaciller l’entièreté de la structure. Oubliez de fermer une balise dans une ligne de code, et vous verrez le résultat…

« La page que vous demandez n’existe pas »

De ce malaise viscéral qui consiste à accepter l’idée que tout le monde est quelqu’un, mais que certains le sont tout de même plus que d’autres, certains en font une force, créatrice souvent et vectrice, automatiquement, de visions novatrices. D’autres (ce sont parfois les mêmes), ne s’en remettent jamais vraiment, assimilent le fait d’être « différent » à celui d’être « bizarre », se cachent et se marginalisent pour ne pas trop se prendre la vérité en pleine face, passent leur existence à devoir la justifier, cette singularité qui se voit, lorsque c’est trop marqué, comme un énorme nez au milieu d’un visage trop petit.

Oscar Scheller en fait parti, de ces êtres différents. Pas besoin de le connaître personnellement et en profondeur pour le savoir : Oscar est un créateur (de musique et de textes qui deviennent des chansons, pour sa part), et l’acte de création, c’est déjà en soi apporter quelque chose d’autre, ajouter à l’édifice aux pierres déjà nombreuses une nouvelle contribution, aussi modeste soit-elle. Créer pour dire : « Je suis différent. Je vous emmerde ».

À bien des égards, le code est une métaphore de ce que nous apprenons à croire du monde

Oscar Scheller

« À bien des égards, le code est une métaphore de ce que nous apprenons à croire du monde ». HTTP404 : le nouvel album d’Oscar Sheller se nomme comme les pages que l’on ne parvient pas à trouver sur nos écrans d’ordinateurs (un tout petit signe de trop, et tout explose), et formule de manière très concrète l’idée d’anomalie insoluble. « Les idées préconçues de ce qui est ou de ce qui semble être, et les idées de ce que nous devrions être… Je ne me suis jamais retrouvé dans le code ». Néo s’est connecté à la matrice. Et est resté bloqué dedans.

Pour illustrer ce second album et l’idée que le bug dans la matrice menace de tout faire fondre, le chanteur londonien, qui produit également beaucoup pour les autres (Brooke Candy, Charli XCX, Arlo Park…), a trouvé Frederick Stisted, « a London-based Photographer and Art director who specialises in Portraiture and Fashion ». Les inspirations du duo pour cet artwork qui dit l’angoisse d’un monde où le digital contrôle tout et aspire le monde dans de nouvelles logiques totalitaires (chacun contrôle son voisin, et est contrôlé par lui) ? « Mes inspirations viennent de mes propres voyages, entre les peintures religieuses de Sebastian Ricci et de Pieter Brueghel, les vieilles publicités Microsoft des années 1980, la trilogie Matrix ».

Jeux d’enfants par Pieter Brueghel l’Ancien (1560). Huile sur bois exposée au Kunsthistorisches Museum, Vienne (Autriche)

L’homme contre le code

« Je savais que je voulais créer une image qui référait autant à l’art classique qu’à l’art surréaliste et moderne », nous dit Oscar Sheller, par mail. « Je voulais que cette image reflète la perte / l’immersion dans la technologie (d’où le code) et l’homogénéité de l’ère technologique (…) Nous avons pris cette photo dans son université, le Chelsea College Of Art, dans l’ancienne morgue, en nous assurant que la seule la seule lumière sur mon visage provenait d’un iPhone. Cette lumière est un réveil. »

English version. Words of Oscar Scheller

« With the title ‘HTTP404’ I knew I wanted to create an image that referenced classical art but was simultaneously hyper-surreal and modern. I wanted it to reflect being lost/immersed in technology (code) and the homogeny of living in the technological age. The human versus the code.

In many ways the code is metaphorical for what we are taught to believe about the world and with it, ourselves. Conditioned preconceptions and the ‘code’ of what things are or appear to be and how we should be. I never found myself in the code therefore the title stands for the a page not found error; HTTP404. It was inspired by a trip I had, along with Sebastian Ricci and Pieter Bruegel’s religious paintings, Old Microsoft adverts from the 1980s and The Matrix Trilogies. I collaborated with photographer Freddie Stisted and we shot it at his college Chelsea College Of Art in the old morgue. We made sure the only light being cast onto my face was from an iPhone. That light being an awakening. »

Le son

On imagine les journées du londonien Oscar Scheller relativement longues. Producteur, il travaille, en plus de la création de son propre univers musical, au malaxage du son de Brooke Candy, Charli XCX, Mabel, Arlo Park, Jevon, MiraaMay. Le smartphone, ainsi, doit fonctionner à plein régime. Quand il est à 1% de batterie, et dans un lieu inconnu (en l’occurrence ici, dans la banlieue de Stockholm), l’angoisse guette. 1%, c’est le titre qui a pas mal tourné cet été en Grande-Bretagne et sur lequel posait également Lily Allen, londonienne elle aussi. Extrait le plus pop d’un album qui ne l’est pas toujours (on parlerait parfois plutôt de dark wave, une esthétique qu’il est toujours un peu étrange de considérer comme de la pop…), HTTP404 est la manifestation très concrète que l’on peut faire de très grandes choses avec de très grandes erreurs. De la musique pop et sombre, tendance 80’s obsessionnelle de synthétiseurs, par exemple ?

Oscar Scheller (Facebook / Twitter / Instagram / YouTube / Bandcamp)

Frederick Stisted (Site officiel / Instagram)

Oscar Scheller, HTTP404, 2019, Wichita Recordings Ltd., artwork par Frederick Stisted