OrelSan x Greg & Lio x Jean Counet x Jérôme Juv Bauer – La fête est finie


OrelSan, les cheveux en arrière et la main gauche collée à la vitre, fixe le vide qui se présente devant lui. Compressé, dans une ligne de métro manifestement bondée (Twitter l’affirme, photo à l’appui : le shooting s’est déroulé métro Ramonville, à Toulouse), la situation le contraint à l’immobilisme, de la même manière qu’elle contraint ses voisins, pareillement confrontés à l’ empaquetage humain ordinaire. On fantasme les odeurs environnantes : celles-ci donnent la gerbe.

Samouraï

Dans le dos du rappeur originaire de Caen, on ne le remarque qu’au second coup d’oeil : un katana, dont on ne voit que le manche, mais dont on devine le tout. Pour les passagers de la ligne 13, de la station Ramonville, ou d’une autre ligne, la fête serait-elle sur le point, comme le suggère le titre, de se finir bientôt ? Dans « San », le morceau qui ouvre La fête est finie, OrelSan, « sale gosse sur un château de sable », fait le point. Et concède, à ce sujet, être « toujours à deux doigts du craquage, à deux doigts du pétage de câble ».  « J’craquerai pas », répète-t-il ensuite plusieurs fois, marquant plusieurs silences évocateurs de quelques tracasseries internes…

Le métro, ses rames bondées, ses corps suintant la promiscuité étouffante, est a priori l’espace idéal pour permettre à celui, au bord de la rupture, d’exploser de manière définitive. Et pourtant, sur ce coup-là, OrelSan ne craque pas. Le OrelSan de « Suicide Social », sans doute le morceau le plus charismatique et le plus énervé du rappeur à ce jour, aurait sans doute, lui, saisi le katana positionné dans son dos, afin de faire un peu plus de place dans cette rame qui aurait tout de suite été beaucoup moins remplie…Le OrelSan de La fête est finie, dernier épisode d’une trilogie débutée huit ans plus tôt avec Perdu d’avance, garde au contraire le sabre dans le dos. Et plutôt que de s’en servir, trouve moyen de locomotion moins contraignant que le métro aux heures de pointe. En ouvrant l’album, on découvre en effet une photo du rappeur, sous un abribus cette fois, seulement accompagné par son ombre, et par ce katana toujours proprement rangé dans son étui…

Alors, Orelsan est-il devenu ce garçon plus mature, celui qu’il évoque souvent dans ses textes (« j’pensais me lever un matin et être un homme »), et qu’il paraît autant espérer (« mon frère a deux enfants, j’veux les voir grandir ») que craindre (« pourquoi tu veux m’mettre un bébé dans les bras, j’ai déjà du mal à m’occuper de moi ») ? Pas certain. Ce katana positionné dans le dos, il fait plutôt, a priori, référence à l’Orelsan des Casseurs Flowters,  immature mais inoffensif, le projet mené avec son pote Gringe qui revenait, adulsecent, sur ses années de galère et de glandouille, magnifiant l’idée de « loser magnifique », idée exportée jusqu’à la télé, et jusqu’à une mini-série (Bloqués) diffusée sur Canal +, pastilles de quelques petites minutes le mettant en scène, avec Gringe, au sein d’une colloc orientée bières-plan meufs galères-soirées consoles fromage gruyère.

Car si OrelSan ne veut pas « rester figé dans (son) personnage comme une prise d’otages à Disney », il semblerait toutefois qu’il se déguise un peu ici, une fois encore. Comme un personnage de manga, sans doute, homme normal le jour et samouraï la nuit, un genre dont OrelSan raffole. « J’aime que les mangas, et les films de Van Damme ». « Japan Expo c’est la fashion-week », dit-il ici, sur « Christophe »,ce featuring avec Maître Gims (oui, le chanteur de Sexion d’Assaut qui chante très fort) fait d’une accumulation de délires personnels et franchement bizarre (le refrain scande à plusieurs reprises le nom de « Christophe Maé »…)

Toulouse Compression

OrelSan, passionné de manga, et ainsi de culture asiatique, dans le sens très large du terme ? C’est sûrement via cet intérêt-là (ou d’une autre manière, peu importe) qu’il fut un jour confronté au travail de Michael Wolf, photographe originaire de Munich mais résident, un temps, au sein de la grande cité de Hong Kong, une ville au sein de laquelle l’Allemand donna naissance aux séries Life in Cities et Tokyo Compression, séries destinées à documenter l’existence des classes prolétariennes auxquelles plus personne ne prête attention, et dire le caractère extrêmement anxiogène de l’urbanisme des plus grandes mégalopoles de l’Asie du sud-est.

Michael Wolf – Architecture of Density

Les images émanant de Tokyo Compression, ainsi, se focalisent sur les visages d’individus compressés à l’intérieur de rames saturées (la capitale japonaise emploie des « pousseurs » afin de permettre aux usagers de tenir dans les rames…), montrant par ce biais l’image d’un métro tokyoïte absurde et particulièrement désespérant. Orelsan, sur le visuel illustrant La fête est finie, a pour sa part un tout petit peu plus de place que les Japonais captés par l’objectif de Michael Wolf. Pas sûr, par contre, que l’un d’entre eux porte l’arme favorite des samouraïs, mine de rien, dissimulée dans le dos…

Le son

« J’me fais à l’idée de jamais aller mieux ». Malgré ses dires, Orelsan conclut sa trilogie débutée en 2009 avec Perdu d’avance en faisant muter, quelque peu, le personnage de loser cool et misanthrope qu’avaient largement contribué à bâtir ces deux premiers albums, mais aussi son escapade, cinématographique et discographique, menée avec le compère Gringe, sur l’aventure Casseurs Flowters. Assumant définitivement l’idée que le rap est la nouvelle pop, si ce n’est la nouvelle variété, Orelsan pousse la chansonnette plus régulièrement qu’auparavant (« La fête est finie », « Tout va bien », « La lumière »), s’empare largement de l’autotune, accumule les productions électroniques (voire trap-music, comme dans « Basique »), empile les featurings très attendus (avec Nekfeu et Dizzee Rascal sur « Zone » et avec Stromae sur « La pluie »), très audacieux (avec Ibeyi sur « Notes pour trop tard »), très étonnantes (avec Maître Gimes sur « Christophe »). Et conclut avec brio une trilogie qui aura, en une petite décennie, bouleversé l’idée que l’on se fait, en France, de la musique rap.

Orelsan (Site officiel / Facebook / Instagram / Twitter / Youtube)

Greg & Lio (Vimeo)

Jean Counet (Vimeo)

Jérôme Juv Bauer (Site officiel / Facebook  / Instagram)

Orelsan, La fête est finie, 2017, Wagram Music / 3e Bureau, 50 min., pochette : Greg & Lio (D.A.), Jean Counet (photo) et Jérôme Juv Bauer (artwork)