Odezenne x Édouard Nardon – Au Baccara


Comme pour suivre les préceptes de la déesse Fortuna, au premier plan sur l’artwork, maîtresse de la chance lançant une roue de la fortune — ou de l’infortune — sociale, c’est tête baissée que les membres d’Odezenne se sont lancés dans la production leur quatrième album. Après s’être enfermés dans un appartement à Berlin en 2015 pour la composition de Dolziger Str.2, les Bordelais d’origine se sont retrouvés dans leur région natale pour des sessions d’enregistrement beaucoup moins claustrophobes.

En est ressorti Au Baccara, un album riche, peut-être le plus hétérogène de la discographie du groupe, mis en images par le talentueux Édouard Nardon, déjà derrière l’identité visuelle des précédents disques d’Odezenne.

Le jeu des rois

Quelques jours après la release party de l’album au New Morning à Paris, où une poignée de chanceux ont pu le découvrir dans son intégralité avant l’heure, Jaco et Mattia, respectivement chanteur et beatmaker d’Odezenne, se sont exprimé sur la signification de l’artwork, dans un bar du XIe arrondissement. « Sur la pochette, il y a Fortuna, explique Jaco, c’est la déesse de la chance et de la fortune. Et à côté t’as cette roue, où plusieurs personnages représentent le roi, le paysan, le bourgeois, le commerçant…»

Une roue en losange, toute aussi déformée que les personnages, qui n’est pas sans rappeler l’artwork du dernier album du groupe — en référence au signe que gravent les cambrioleurs sur les portes d’appartements à dévaliser, comme pour inciter l’auditeur à « braquer » Dolziger Str.2, à s’introduire de force dans son univers —, mais qui fait également penser, dans un tout autre registre, à l’artwork du single All Day de Kanye West qui, comme l’expliquait Kim Kardashian dans un post Instagram à la sortie du morceau, symbolisait la vierge Marie au XIIIe siècle. De la même manière, les personnages présents sur l’artwork d’Au Baccara semblent tout droit sortis de la tapisserie de Bayeux, une référence, peut-être, au tableau qu’on distingue sur la pochette d’OVNI, comme le parfait mélange des précédents disques d’Odezenne.

Kanye West – All Day (2015)

Un artwork pour annoncer un album aux nombreuses références à leurs anciennes productions — « Nucléaire » ne ferait pas tâche dans la tracklist de Dolziger Str.2 tandis que « BNP » pourrait très bien figurer aux côtés de morceaux comme « Boom Boom » sur OVNI —, mais également pour introduire le mantra du baccara : « le roi des jeux c’est les échecs, le jeu des rois c’est le baccara », présente Jaco.« C’est un jeu de cartes qui se passe dans des salons privés et où les destins changent à chaque tour, car de grosses sommes sont mises en jeu. » De quoi imaginer d’interminables soirées arrosées de vin autour des cartes, d’où, peut-être, la distorsion des personnages et des symboles, également présente sur les artworks des singles.

Si la satire sociale, d’ailleurs à retrouver dans la chanson « Bébé », est évidente, d’autant plus quand on sait qu’au baccara, les têtes — appelées « bûches » — ne valent rien, la référence au jeu est plus une maxime pour les membres d’Odezenne : « C’est une sorte de mektoub. On appelle ça le ‘mektoub de Gironde’ entre nous », explique Mattia. « Quand y a un choix à faire, c’est la façon dont on choisit : au baccara, on verra…» Un état d’esprit qui a structuré toute la composition de l’album, et que prônent les musiciens. Pour cause, quand on les interroge sur leur processus créatif, ils prennent un malin plaisir à simplement répondre « on fait du Odezenne », presque en cœur. Comme si rien n’était écrit, et que tout venait à l’instinct. De quoi justifier l’hétérogénéité d’Au Baccara.

Le son

Depuis 2012, après un premier album plus « classique » en 2008, Odezenne fait office d’Ovni dans le paysage du rap français. Avec leurs punchlines chantées, parfois plus que rappées, le trio propose une musique toute en paradoxes : des paroles touchantes, où jeux de mots et figures de style sont légion — leur titre « Saxophone »4, en anadiplose, n’est plus à présenter —, balancées par les voix monotones, presque blasées, sur des intrus léchées et millimétrées. En prenant un malin plaisir à jouer sur les codes du rap, Odezenne affirme un style singulier, peut-être trop rare dans un milieu qui semble par moment aseptisé.

Au Baccara n’enfreint pas la règle : c’est une production touchante, juste et intelligente qui, sans avoir la cohérence de ses prédécesseurs, sait prendre des risques — qui s’attendrait à un morceau écrit sur une instru techno ? — pour renouveler l’univers de la formation sans se perdre. Et si Jaco s’amuse à lancer « au baccara, tu joues avec ou contre la banque. Nous, on a souvent joué contre », il est certain qu’en musique, Odezenne joue dans la cour des grands.

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Odezenne, Au Baccara, 2018, Universeul, artwork by Édouard Nardon