Oasis x Brian Cannon – (What’s the Story) Morning Glory
Tous les mois, Néoprisme donne la parole à un journaliste extérieur, qui nous parle d’une pochette d’album d’hier, culte pour le grand monde ou simplement pour l’intime de celui qui l’analyse. Aujourd’hui, la parole est à Marine Stisi de Sortir à Paris, qui scrute pour nous la pochette de (What’s the Story) Morning Glory d’Oasis…
1995. À une vingtaine de kilomètres de Paris, une petite fille de 6 ans bien sage malgré une certaine hyperactivité, suit assidument ses leçons de solfège au conservatoire municipal. Cette petite fille, c’est moi. Ma rencontre avec la musique, c’est via Bach et Beethoven que je la fais, avant de faire un grand écart qui m’amènera jusqu’au Spice Girls, puis, dans un univers qui me suit encore aujourd’hui (et légèrement moins honteux), jusqu’au rock britannique.
Quelques années plus tard, j’ai abandonné le solfège et le piano contre des vans et un ordinateur relié à Internet. À 13 ans, je fais un voyage en Angleterre, je vais à Londres, à Liverpool, à Manchester. Et là, au détour d’une promenade dans un HMV quelconque, je découvre Oasis, le groupe formé par les aussi charismatiques que colériques frères Gallagher.
Comme tout le monde, j’ai déjà entendu le super tube « Wonderwall », mais là, c’est la claque. Je rentre à Paris un peu changée par mon expérience anglaise, j’ai fait le plein de patchs rock’n’roll au marché de Camden, et je me branche, aussi souvent que possible, sur MTV. Fréquemment, je vois bien ces images en noir et blanc qui débutent. Un hangar vide, un clown qui vient faire démarrer un tourne-disque comme on n’en fait plus, et les notes qui débutent. Noel Gallagher s’est installé sur la chaise, et gratte sur sa guitare les premiers accords de « Wonderwall », reconnaissables entre mille. Les frères Gallagher viennent de faire leur entrée dans ma vie, ils n’en ressortiront plus.
Retour en 1995. En Angleterre, de Londres à Manchester, depuis quelques années déjà, on vit une révolution musicale. Le Britpop, inauguré quelques années plus tôt avec des groupes tels que Suede, vit ses heures de gloire, et nous sommes au sommet de la guerre qui oppose les Londoniens de Blur et les Mancuniens d’Oasis. 1995 marque l’année de sortie du deuxième album d’Oasis. En 1994, le single « Supersonic » (issu du premier album Definitely Maybe) a créé l’engouement dans le milieu, et le public attend avec impatience le deuxième opus.
(What’s the Story) Morning Glory ? sort le 2 octobre 1995 (nous avons ainsi fêté ses 20 ans il y a quelques semaines). Le nom est plutôt racoleur (« morning glory » pouvant être traduit par « érection matinale »), mais le disque cache une harmonie qui ne sera plus jamais égalée par ses créateurs. Malgré des frasques lors de l’enregistrement (les frères Gallagher, déjà, se disputent, se séparent, se retrouvent), l’album est d’une incroyable cohérence. On retrouve, par-ci par-là, quelques clins d’œil à d’autres grands maîtres de la musique (« She’s Electric » s’inspire de « While My Guitar Gently Weeps » des Beatles, « Hello », de « Hello, Hello, I’m back again », de Gary Glitter, et « Don’t look back in anger » empreinte son début à « Imagine », de John Lennon, rien que ça !), mais l’harmonie conductrice, celle de « Wonderwall », fait l’effet d’une bombe. La guitare de Noel est puissante, virulente, la voix de Liam, enchanteresse et évidente. Noel Gallagher avouera plus tard dans une interview qu’il commençait alors à assumer ses textes comme étant la voix d’une génération. Ce qu’il sera.
La pochette de l’album utilise d’ores et déjà le flou, un procédé qu’on retrouvera par la suite dans leur iconographie (notamment sur la pochette d’Heathen Chemistry en 2002), et surtout, un effet d’optique qui met celui qui regarde au parfait centre de la scène. Definitely maybe en 1994, The Masterplan en 1998 utilisent ce même effet qui donne la sensation d’une insertion dans un quotidien, où le temps, pendant un instant, s’est arrêté.
Dans (What’s the Story) Morning Glory ?, on y voit deux hommes aux visages flous qui se croisent dans une rue vide. On pourrait penser immédiatement qu’il s’agit d’une rue de Manchester, la ville natale des frères Gallagher. Pourtant, la scène se déroule à Londres, sur Berwick Street, rue populaire pour ses disquaires dans le quartier de Soho. Il est 5 heures du matin, une lumière timide se lève sur un des quartiers les plus cools de la capitale britannique. La rue est vide, mais ne tardera pas à se remplir.
L’homme marchant de dos est le directeur artistique de l’album, Brian Cannon, qui a conçu la pochette. Il est aussi à l’origine de la précédente pochette du groupe, Definitely Maybe, et de celle qui viendra ensuite, en 1997, Be Here Now. Cette sensation d’intrusion dans le quotidien, de moment suspendu, c’est lui. Sensation qu’on retrouve aussi sur la pochette d’Urban Hymns de The Verve en 1998, dont il est également le créateur. L’homme qui arrive en face de lui est le Dj londonien, Sean Rowley. Plus haut sur la gauche, presque invisible, entre le second réverbère et l’épaule de Sean Rowley, un homme se tient de profil en se masquant le visage avec un objet. Il s’agit du producteur de l’album, Owen Morris.
Une certaine fierté, voire, une certaine prétention, filtrent de cette pochette. C’est comme si le groupe tenait à faire passer un message : avec une équipe de professionnels, avec une sacrée équipe, des amis hauts placés dans la musique londonienne, les jeunes Mancuniens débarquent en ville, et vont littéralement casser la baraque. Pour moi, cette pochette est synonyme d’un calme avant la tempête, une tempête parfaite menée avec brio par un « Wonderwall » immortel, et conçue avec intelligence par des musiciens (qui figuraient sur la pochette précédente), mais, aussi par une équipe qu’on ne voit pas, mais qui détient elle aussi une place importante dans le groupe et dans sa réussite.
Oasis, (What’s the Story) Morning Glory, 1995, Big Brother Recordings, 50 min.