Nodey x Esther Sarto —:-)


Producteur pour Youssoupha, Seth Gueko, Hyacinthe, La Scred Connexion, Nodey a lâché ces derniers mois le fracas de la capitale parisienne, où il avait jusqu’alors élu résidence, afin d’aller trouver en Asie, d’où il tire ses origines — son nom complet, Nodey N’Guyen, dit les racines vietnamiennes de sa famille —, une nouvelle terre d’accueil. En Chine d’abord, à Shanghai, il a composé un album nommé comme un emoji qui veut du bien à son interlocuteur et qui sonne comme une grande fusion de ce qu’il a dû quitter ces dernières années (les productions trap qui dominent les scènes rap actuelles), des sons qui ont cadencés une partie de sa jeunesse (certaines productions se rapprochent de la musique rave, si ce n’est de l’eurodance sous Lexomil) et certaines musiques que l’on aurait tendance, de loin et lorsque l’on n’est pas constamment immiscés dedans, à qualifier de musiques « traditionnelles » vietnamiennes.

Sigur Rós dans le rétro

Un grand chamboulement géographique qui devait en appeler un autre (de Paris à Shanghai, puis de Shanghai à Ho-Chi Minh Ville, les bouleversements sont conséquents), puisque Nodey a également vu naître ces derniers mois un enfant (le sien) qui devait finir par apparaître (métaphoriquement) sur la pochette de ce disque qui en rappellera une autre, celle proposée en 1999 par Gotti Bernhöft pour le groupe islandais Sigur Rós.

Sigur Rós x Gotti Bernhöft — Agaetis Byrjun (1999)

Hier, chez le mythique groupe scandinave, une échographie laissait apparaître la photographie d’un fœtus d’extraterrestre, d’ange, d’un être pas clairement identifié de ce côté-là de l’univers. Aujourd’hui chez Nodey, et chez Esther Sarto — une peintre danoise rencontrée en Chine dans la résidence dans laquelle il devait composer la majorité de ce disque — c’est à une autre forme de vie que l’on se trouve confrontée, et à une existence peut-être un tout petit peu précoce en ce qui concerne la question de l’usage des nouvelles technologies. Les millenials, déjà, sont dépassés, la génération qui viendra après elle possède déjà un smartphone dans le ventre de sa génitrice, et communique peut-être même déjà avec elle. Nodey :

Esther Sarto – Butchershop Bliss

« Esther sait que je m’intéresse beaucoup à des questions spirituelles, à notre humanité mais également à notre rapport aux technologies. Sachant que  je venais d’avoir un bébé, elle m’a donc dessiné un fœtus avec un smartphone. »

Nodey, lui, y voit une évocation aux travaux, lointains et cultes, « des pochettes de vinyls 60’s-70’s de musiques un peu psychédéliques à la « Bitches Bref » de Miles Davis ou bien King Crimson qui sont faites à la peinture traditionnelle mais en ayant des références contemporaines. », et y voit un écho à sa musique, elle-même fusion de ce que l’on jouait hier et de ce que l’on joue aujourd’hui. Cette pochette, « c’est un peu comme ma musique où j’aime mélanger des beats et des synthés modernes avec des mélodies et des instruments qui datent de siècles voire des millénaires d’avant. » 

Esther Sarto – Breakfast

Connecté

De cette illustration bizarre d’Esther Sarto, scandinave elle aussi (comme Sigur Rós, décidément), émane naturellement une critique violente, acerbe et tristement lucide d’un siècle ultra connecté et happé, dès très tôt, par l’autre monde, celui, infini et incontrôlable, qui habite derrière les écrans sombres, et qui invite à y demeurer le plus longuement possible. De l’autre côté du miroir, comme l’écrivait Lewis Carroll, que trouve-t-on ? Nodey pour sa part, que la sorcellerie semble ne pas effrayer, est sous le charme :

« J’ai tout de suite flashé sur son travail. J’ai la sensation que c’est une œuvre venue d’un autre monde, d’un autre siècle. On dirait des tableaux qu’on trouverait dans une étrange maison hantée appartenant à une vieille sorcière un peu tarée. » 

Le son

À l’extrême est de l’Eurasie, ce producteur et beatmaker parisien a trouvé la voix d’une vie nouvelle et d’une musique franchement audacieuse, qui a le mérite de mettre en valeur des sonorités et des rythmes que l’on entend peu de ce côté-ci du monde. Immergé dans la culture vietnamienne après l’avoir été un te

mps dans la culture chinoise, Nodey fusionne la musique électronique (déjà expérimentée, chez lui, sur ses disques Atrahasis et Vinasounds vol.1), le rap d’ici et celui d’ailleurs, et invite, en plus de quelques compères d’hier (les rappeurs Hyacinthe et Jorrdee) des compères d’aujourd’hui, et en l’occurrence la star vietnamienne Suboi. À l’est, enfin, voilà du nouveau.

Nodey (Facebook / Twitter / Instagram / YouTube)

Esther Sarto (Site officiel / Facebook)

Nodey, :-), Jeune à Jamais & Société Écran, 2020, 42 min.