Mono x Gustave Doré – Requiem For Hell


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Gustave Doré et les pochettes de disques, c’est une récurrence qui semble ne jamais devoir s’interrompre. Non pas que le caricaturiste, illustrateur et peintre français en ait designé beaucoup de son vivant, des disques (dans la deuxième partie du XIXe siècle, la platine vinyle n’a naturellement même pas encore été envisagée…), mais c’est que depuis les années (19)90, et plus encore depuis le début du nouveau millénaire, l’oeuvre de Doré, tombée depuis un bail dans le domaine public, se retrouve réutilisée par une flopée de groupes étiquetés death / black / ou heavy metal, performers des cordes (vocales ou guitareuses) trouvant dans l’oeuvre du Français une résonance logique avec la leur.

Gustave Doré, illustration pour le chant XXX du Paradis

Gustave Doré, illustration pour le chant XXX du Paradis

Doré chez Burzum, Doré chez Mono

Alors bien sûr, ce n’est pas le Doré illustrateur des Fables de La Fontaine, des Contes de Perrault ou de Rabelais qui se trouve ré-approprié, la morale du « Lièvre et la Tortue » se trouvant relativement peu concordant avec les hurlements vindicatifs d’un chanteur de black metal symphonique. C’est plutôt (et exclusivement même) vers la splendide Divine Comédie de l’humaniste italien Dante Alighieri, et ses trois parties toutes illustrées (« L’Enfer », « Le Purgatoire » et « Le Paradis »), que se tournent en effet ces groupes, Scandinaves pour la plupart. C’est le cas d’Emperor (à deux reprises), de Candlemass (pour l’album Tales of Creation), de Merciless (pour The Awakening), et bien évidemment de Burzum et de son célèbre chanteur Varg Vikernes (incarcéré après avoir été accusé d’avoir participé aux incendies de plusieurs églises norvégiennes et d’avoir assassiné Euronymous, le leader de Mayhem), qui citent Doré pour les besoins de The Ways of Yore.

Un chrétien chez les satanistes

Des groupes porteurs d’un anti-christianisme zélé et violent – et parfois couplé par un satanisme revendiqué – illustrés par les propos visuels d’un ouvrage narrant avec une minutie morbide le monde des Enfers ? Il y a là une logique, extrêmement réductrice, mais réelle. Mais surtout, il y a dans cette démarche de récupération une profonde méconnaissance de l’oeuvre de Doré, lui dont on sait qu’il s’avérait particulièrement empreint, de son vivant, d’une foi chrétienne avérée, et patriotique de surcroit. Nul doute que le Français aurait ainsi rejeté avec une vigueur dégoutée toute association à ces projets-là, au moins autant que le jour où M83 s’est retrouvé avec son « Midnight City » en bande-son d’une vidéo promouvant les idées rétrogrades du Front National…

Gustave Doré - L'Enfer de Dante

Gustave Doré – L’Enfer de Dante

Ici, une nouvelle fois et pour ne rien changer, c’est La Divine Comédie façon Doré que l’on retrouve accolée à une pochette de disques. Mais pas de Norvégiens ni de Suédois barbus à l’horizon. Mais des Japonais cette fois – les excellents Mono en l’occurrence, dans le coin depuis l’an 2000 -, qui partagent avec leurs cousins du Nord de l’Europe une passion manifeste, non seulement pour le crayon du peintre français (de la beauté de la mondialisation…), mais aussi pour les plages particulièrement allongées, puisque Mono, pour sa part, ne berce pas dans le death metal acharné mais dans le post-rock nuancé. Et si le groupe a pensé aux illustrations de Doré pour Dante, c’est que son album, auquel il conviendra dès lors de coller l’adjectif « apocalyptique », a fini par se nommer Requiem For Hell (compte tenu de l’ambiance globale du disque et des titres de certains morceaux – « Death in Rebirth », « Requiem for Hell », « The Last Scene », on pige pourquoi). Et qu’il n’existe aucune oeuvre meilleure (l’avis est subjectif) pour illustrer un album qui évoque les flammes rugueuses et rougeoyantes de l’Enfer que ce coup de crayon-là, chef-d’oeuvre suprême dans le genre.

Le son

Toujours plus proche de leurs cousins d’Amérique du Nord (Godspeed You ! Black Emperor, Explosions In The Sky, This Will Destroy You…) ou d’Europe où il fait froid (Mogwai, Sigur Rós…), Mono livre un album d’une beauté étourdissante, alternant phase d’extrêmes violences (« Death in Rebirth », « Requiem for Hell ») et phases d’extrêmes tendresses (« Stellar », « The Last Scene »), livrant, comme d’ordinaire chez le groupe japonais, la parole aux guitares et aux cordes. Divine comédie, et divines symphonies.

Mono (Site officiel / Facebook / Twitter / Instagram / Youtube)

Mono, Requiem For Hell, 2016, Pelagic Records, 46 min., illustration originelle par Gustave Doré