Mokado x Alice Delsenne — Maskoj


Celui-ci, le Chinois NUO, était porté durant des processions afin de chasser les esprits mauvais et d’apaiser les fantômes. Celui-là, le néo-zélandais TĀ MOKO, fut le témoin d’un retour d’entre les morts d’une figure qui, après avoir giflé une créature divine, avait subi le tatouage facial permanent comme acte de rachat. Celui-là encore, l’Alaskain YUPIK, était fabriqué selon les rêves des chamans afin de protéger la communauté des dangers de la chasse et des esprits capables de changer d’apparences afin de tromper les hommes les plus simples d’esprits. Un autre, porté aux Îles Mortlock de Micronésie — TAPU ANU —, servait à combattre ces vents qui, sur ces îles isolées du Pacifique, pouvaient s’avérer particulièrement féroces…

House masquée

Sur Maskoj, le nouvel album du producteur et percussionniste Mokado — des claviers et un marimba acoustique, un xylophone africain initialement créé en Amérique du Sud, l’accompagnent sur la route —, neuf morceaux aux noms étranges, exotiques, pour quiconque n’aurait jamais déplacé l’imagination plus loin que le bout de son propre pâté de maisons. Neuf morceaux illustrés, puisque le producteur en porte un depuis toujours sur scène — « c’est ma musique qui compte, pas ce à quoi je ressemble » — par neuf masques issus des quatre (ou même des neufs) coins du monde.

Mokado © Solene Millon

« L’identité du projet est de raconter l’histoire des autres, comme je l’avais fait avec mon album Marius, dont les morceaux étaient tirés des carnets de mon grand-père.

Mokado — Marius

L’imaginaire de cet album-là revient à cette idée du masque que je porte sur scène. Ça n’aurait pas de sens que l’on me voit moi. J’aime l’idée que les gens s’approprient l’artiste Mokado avec ce masque, crée par l’artiste Murielle Nisse, très féminin pour certain et très masculin pour d’autres. »

Mokado © Camille Dampierre

Googler maps, Google masks

Ainsi, un masque pour chaque morceau. Sur ces artefacts d’un autre temps, puisque le garçon est précautionneux, neuf recherches ont par ailleurs été patiemment menées aux confins d’un monde qu’il est désormais possible d’explorer en réduisant son impact carbone dès lors que l’on possède une connexion internet fiable. Des voyages sac à dos et tente Quechua en Côte d’Ivoire à la recherche de l’histoire du masque SÉNOUFO, au Japon pour comprendre le sens du masque TENGU, ou à Venise pour percer celui du masque MORETTA ? Pas du tout.

« J’ai simplement tapé le mot ‘masque’ sur Google. J’en ai récupéré une vingtaine dont le visuel me plaisait. J’ai ensuite fait énormément de recherches sur leur provenance, leur sens, leur signification. » En a-t-il au moins certains chez lui, de ces masques qui peuplent son univers à ce point ? « Je ne suis pas un collectionneur. J’aime bien l’idée de travailler dessus, j’ai des illustrations de masques et des livres qui en parlent… mais en collectionner et les mettre au mur chez moi ? Pas mon truc ».

Ethnologue improvisé, Mokado pioche ainsi des histoires ici et là, sélectionne les plus marquantes d’entre elles, part de ces masques et de ce que l’on a pu comprendre de leur contexte de production afin de composer les morceaux qui finiront par former Maskoj. Adepte de la contrainte comme catalyseur de travail, trois manières de travailler s’imposent alors à lui.

D’abord, celle qui consiste à utiliser un instrument ou une voix de la région dont le masque est issu, sonorités souvent piochées dans des bibliothèques de samples ou sur YouTube. C’est le cas de « Moretta ».

Possible, aussi, de se baser sur les rythmiques de la région, et faire d’une nouvelle contrainte une nouvelle voix d’exploration, comme pour le morceau « SÉNOUFO ».

La troisième possibilité consiste enfin à partir du texte écrit, à s’imprégner plus profondément de l’histoire liée au masque, de sa mission au sein de la communauté dont il est issu. « Dans ces cas-là, comme dans le cas de TAPU ANU, je tente de voir l’émotion derrière le masque ».

Esperanto

Et la pochette principale de ce disque explorateur de mondes cachés ? Mokado : « Maskoj veut dire ‘masque’ en espéranto (la langue construite en 1887 pour faciliter la communication entre tous ceux qui n’ont pas la même langue maternelle, ndlr). Deux morceaux en Asie, deux en Océanie, un en Europe, un en Amérique… on ne voulait pas faire le choix d’une langue en particulier, mais plutôt celui d’un voyage cohérent, qui irait de l’est à l’ouest. Étant designer de formation, je me suis occupé de la direction artistique du vinyle et des CD. Mais pour l’illustration en elle-même, initialement faite au pinceau, elle est l’œuvre d’Alice Delsenne. »

Une illustratrice qui a donc imaginé le masque d’une communauté que l’on n’aurait pas encore découverte et qui célébrerait l’amour, le vent, la mort, la victoire, la moisson ou la fuite des orages par l’édification d’un masque destiné à raconter des histoires que l’on n’aurait pas encore racontées. Ou que l’on n’aurait pas encore imaginées…

Mokado (YouTube / Instagram / Facebook)

Alice Delsenne (Site officiel / Instagram)

Mokado, Maskoj, 2023, Le Hameau Records / LA Café / Le Café de la Danse, 40 min., artwork d’Alice Delsenne.