M83 x Anthony Gonzalez x Tom Kent – Junk


M83 x Anthony Gonzalez x Tom Kent – Junk

Qu’elles étaient douces et joliment poétiques, jusqu’alors, les pochettes de M83. Depuis 2003 du moins, et depuis l’orientation de l’iconographie globale du projet de Nicolas Fromageau et d’Anthony Gonzalez (seul ce dernier fait toujours partie du groupe) vers ces thématiques naïves, enfantines et adolescentes, qui affirmaient, avec persistance et pertinence, la force de la rêverie et des croyances dans ce Pays Imaginaire dont il convient de ne jamais abandonner tout à fait l’idée. Jeunes enfants allongés dans un champ enneigé malgré quelques indications plus préoccupantes (Dead Cities, Red Seas & Lost Ghosts), adolescents au présent automnal (Saturdays=Youth), duo de gamins déguisés comme dans un rêve éveillé (Hurry Up, We’re Dreaming, absolument superbe) : M83, où la constitution d’une esthétique dream pop Peter Pan.

Esthétiquement parlant, du rêve au cauchemar

Avec la pochette de Junk, et avec l’ensemble des éléments visuels liés à la sortie de ce 7e album (le second sans Fromageau, parti fonder Team Ghosts), changement navrant de perspective. Les gamins, semblent-ils, ont un peu grandi (trop en tout cas), et s’ils ont peut-être toujours quelques rêves qui trainent à l’intérieur de la tête, ceux-là ont pris un tout autre faciès. On se déguisait en monstre poilu sur le précédent album, et on les consomme, désormais : ces deux bestioles affreuses, un mâle et une femelle (le noeud dans les cheveux, on le sait, c’est pour les filles), paraissent en effet être une référence à la rêverie la plus dégueulasse qu’il soit, celle du consumérisme massif et nocif, incarnée ici par la redoutable junk-food et par son plus auguste représentant, l’omnipotent McDonald (le big-mac avec les monstres colorés comme un jouet de Happy Meal, ça paraît clair).

McDo

Derrière ces monstres insignifiants et d’un charisme peu flagrant, un tapis étoilé, semblable aux arrière-plans des productions SF les plus cheep des années 80. Peut-être pour affirmer que ces deux jeunes gens viennent d’une galaxie autre. Sans déc. Quoi qu’il en soit, compliqué de dire l’inverse : ce visuel-là est d’une laideur épouvantable.

Happy Meal et Punky Brewter

La typographie, elle, par ses couleurs et par sa forme, évoque directement celle de Punky Brewster (oui, Punky Brewter), cette série américaine des années 80 à laquelle Anthony Gonzalez, crédité en tant que directeur artistique de cette horreur visuelle, a assumé vouloir rendre hommage (de même qu’à la série Who’s the Boss ?, histoire de faire les choses bien), via cet album qui sonne effectivement 80 dans sa manière de se complaire dans une extravagance tellement assumée.

Punky Brewster

Le lien entre la junk-food, le McDo et les TV show amerloques des années 80 ? Improbable et tiré par les cheveux (ou par les poils, en l’occurence). D’où une possibilité plus barbare, quoique plus simple : la lassitude combattue par le revirement et la convocation de l’extrême le plus total. Du purin outrancièrement jeté sur un joli champ de marguerites, qu’on avait pourtant pris tellement le temps de chérir auparavant. Ce serait encore l’explication la plus logique. Et il faut bien avouer, si l’on reste là-dessus, qu’il faut un sacré je-m’en-foutisme et /ou une confiance en soi redoutable, pour passer de la féerie véhiculée une chambre de gamin tamisée par la lumière de l’entre-deux mondes (celui qui sépare le rêve de la réalité) à la grossièreté admise par la présentation de ces deux bestioles définitivement immondes…

Le son

Junk food, et junk pop ? Avec ce 7e album de M83, Anthony Gonzalez reprend les recettes si bien cuisinées dans Hurry Up, We’re Dreaming et sur son immense « Midnight City » (même pas complètement gâché par son utilisation dans le générique des matchs de l’Euro 2012 sur TF1), mais les vident de toute espèce de nuance (ici, il faut être très triste ou très content). Conséquemment marqué 80’s et goinfré de featurings pas forcément séduisants (Mai Lan, Beck, Suzanne Sundfør, Jordan Lawlor), l’album épuise par son extravagance et par sa longueur (55 minutes, c’est très long), et fait quasiment muter le préfixe de la si jolie pop qu’il constituait avant : on passe ainsi, ô drame, de la dream-pop à la power-pop.

M83 (Site officiel / Facebook / Twitter / Youtube / Soundcloud)

M83, Junk, 2016, M83 Recording, 55 min.,  art direction by Anthony Gonzalez, photo par Tom Kent, costume design par Alexandra Day, layout par Randal Pizzardini Borg & Shane Konen