Lou Reed x Mick Rock – Transformer
Tous les mois, Néoprisme donne la parole à un journaliste extérieur, qui nous parle d’une pochette d’album d’hier, culte pour le grand monde ou simplement pour l’intime de celui qui l’analyse. Aujourd’hui, la parole est à Julien Domèce de Technikart, qui scrute pour nous la pochette de Transformer de Lou Reed, réalisée par le mythique Mick Rock. Entretien avec cette légende et analyse d’une figure culte.
Photographe spécialisé en rock stars des seventies, Mick Rock a traversé l’époque en shootant les plus grands. En 1972, à quelques jours d’intervalle, il tire le portrait d’Iggy Pop et de Lou Reed, signant, au passage, deux pochettes parmi les plus mythiques du rock. Celle de Transformer révèle le visage de l’ancien leader du Velvet Underground.
Début des années 70, l’Occident s’apprête à liquider les utopies hippies. Rayon rock, le glam de Roxy Music a déjà émergé, les guitares se font plus acérées, les fringues se déchirent, le son devient plus violent, les regards se durcissent. Une montée sourde bien vénère à coup de Doc Martens dans les dents s’apprête à enterrer les beatniks à sandales de 68. Dans sa chronique électrique pour Rock’n Folk, Yves Adrien commence à baptiser de « punk » ces nouveaux groupes qui montent les potards du gain au-delà du raisonnable – Iggy et les Stooges en tête. John Lydon ne s’appelle pas encore Johnny Rotten, mais la nouvelle décennie vient de commencer.
Jeune étudiant en arts, Mick Rock commet son premier fait d’arme en signant la pochette d’« Octopus/Golden Hair », single solo de son ami Syd Barrett – ils partagent une piaule à Cambridge fin des années 60 – avant de rencontrer Bowie première époque. Mick Rock, ce genre de mec accessible. Un coup de fil, il répond, on parle. « Les années 70 étaient une époque magique où les choses se faisaient simplement. Dans le rock on se fréquentait, puis de manière assez naturelle, on travaillait ensemble. Les choses se passaient comme ça. »
À l’automne 72, Lou et Iggy posent pour le photographe officiel de David Bowie. « J’utilisais des lumières oranges pour shooter, je travaillais sur du papier très sensible à l’époque. Je ne sais pas trop pourquoi, mais ces photos sont devenues mythiques. » Après l’échec commercial de son premier album solo, Lou Reed vient d’enregistrer son deuxième produit par Bowie et Mick Ronson, Transformer. Résultat, un disque mode majeur et une tripotée de tubes à fix : « Perfect Day », « Vicious », « Walk on the Wide Side », hommage à la période Factory et bande son road-movie au volant d’une bagnole plein gaz entre les buildings, quelque chose dans le genre.
« Lou arrivait des États-Unis. Quelques jours avant le shooting, David Bowie l’avait emmené faire du shopping pour le fringuer un peu autrement. » La photo de Transfomer ? Floue, mal cadrée. Ratée, quoi. Au reverse, un type – manifestement bien excité – et une danseuse se tortillent façon glam & queer : « Tout le monde pensait que le mec sur le reverse était Lou. Mais non. Ce n’est d’ailleurs pas moi qui me suis occupé du reverse mais le DA qui avait travaillé sur les deux premiers albums de Roxy Music. » Sur la cover, pas de doute, le visage de Lou Reed apparaît. « C’est marrant, car c’est parti d’une erreur, la photo était floue, hors focus. Quand Lou l’a vue, il a dit “ce sera ma pochette d’album !”Les gens l’identifiaient au Velvet et c’est vraiment à partir de cette pochette que le public a découvert le visage de Lou Reed. » Voire un peu plus.
Lou Reed, Transformer, 1972, RCA Records / Sony Music Entertainment, 36 min., pochette par Mick Rock
Julien Domèce