Lou Doillon x Zélie Noreda x Yann Orhan – Lay Low


Lou Doillon - Lay Low

Trois ans après son premier et remarqué album Places, dans lequel elle dévoilait une voix à la fois chaude et rocailleuse, Lou Doillon nous embarque dans des eaux nostalgiques qui hument les souvenirs en sépia et les années 70. Et cette photo de cover, réalisée par la songwriter elle-même, annonce la couleur d’emblée : balades à la fois intimistes et universelles se déballent dans cet opus, comme on défait avec délectation le papier d’un Carambar intemporel.

Photocopie solitaire ?

Dès les premières notes du titre « Left Behind » qui inaugure l’album, l’étonnant accent de Lou Doillon nous accroche l’oreille. Bondissant de façon parfois abrupte sur les mots, elle semble réinventer un anglais, qui mêle sonorités celtiques, râles du bayou et terres désolées d’Irlande.

Une hybridité presque assumée par l’autoportrait qui fait office d’artwork, dont la composition décomposée de la chevelure de Lou Doillon transforme une partie de son visage, n’offrant qu’un œil, un nez et un morceau de bouche. Si nos imaginaires de science-fiction moderne nous mèneraient à de douteuses comparaisons allant de Monsieur Machin dans la Famille Addams à Choubaka dans Stars Wars, on a plutôt la sensation ici d’assister à une pose à la fois très personnelle et en même temps proche de tous.

Qui n’a jamais collé sa tête ou toute autre partie de son corps (hum) contre la vitre froide d’une photocopieuse, comme une connerie de lycée ou un pacte d’amour avorté. La face légèrement écrasée, laissant un grain éraillé, tout autant que la voix, il faut bien le dire, fascinante de la multi-artiste. Et dans cet album, les nombreuses chansons d’amour d’âme esseulée laissent la porte ouverte aux multiples sens qu’on peut donner aux émotions.

« J’évoque des sentiments généraux, qui peuvent concerner un amant, mais aussi un ami, un membre de sa famille, voire, pourquoi pas, un boss ! Je n’aime que les chansons un peu floues, qui peuvent avoir plusieurs sens, qui peuvent parler de moi, mais également s’adresser aux autres », expliquait la fille de Jane Birkin dans un entretien accordé à Elle. Scanner sa tronche, ses plis, ses ressentis à l’orée d’une époque, pour imprimer ce sentiment aussi éphémère qu’incertain qu’est celui d’aimer.

Argentique en sourdine

Mais derrière cette universalité non feinte des thèmes, Lou Doillon se dévoile dans une intimité troublante à l’instar de cette cover. Loin de dévoiler des morceaux de peau dénudée comme les Beyoncé et autres Rihanna aux shorts mini mini contre qui la chanteuse s’était légèrement insurgée, (entraînant un faux débat qui occupe les médias le temps d’un live tweet), Lou Doillon révèle pourtant ici quelque chose de bien plus personnel. Le regard franc, semblant nous dire l’ambivalence de ses natures, qui paraissent, à travers ce disque, à la fois tourmentées et joyeuses. Cet effet argentique entraîne une image nostalgique, comme une vieille photo d’un album d’été. Le grain rayé de la pellicule rappelle les bobines d’un film en noir et blanc, et les morceaux de Lay Low ne manquent pas d’auras cinématographiques. « Where to Start » dont le premier clip a été dévoilé, pourrait bien raconter un road trip amoureux sur une route californienne. Ce pourrait même être le titre d’une June Carter qu’on passe dans un vieux dinner sur un tourne-disque suranné. On pense à Joan Baez, à Patti Smith aussi.

Telle une ritournelle obsédante, ces « petites chansons » comme Lou Doillon s’amuse à les nommer, ont quelque chose de résolument simple et efficace. Comme une clairvoyance dans la tourmente. Lorsqu’on écoute le titre « Above My heart », on croit percevoir, le temps d’un silence, la lampe de l’ampli qui grésille dans le studio montréalais Hotel2tango où a été enregistré Lay Low. Les arrangements sont purs, sans fioriture et surproduction, à l’image du très exigeant Taylor Kirk, le chanteur de Timber Timbre, qui l’a aidée à réaliser l’album.

A l’intérieur du livret, les photos de studio réalisées par Zélie Noreda ainsi que le design de Yann Orhan confirment cette sobriété à la fois dans les morceaux et dans l’artwork. Une volonté de présenter l’art de façon brute, sans comparaison de filiation, ni représentation esthétique, comme on pourrait s’y attendre pour quelqu’un qui a été à la fois comédienne et mannequin. Sur ces clichés toujours à la sauce sépia violacée, Lou Doillon apparaît là où elle doit être, dans la création, à la fois dans le doute de l’écriture et face au micro.

Il y a là une douceur dans l’attitude rock’n’roll, avec des photos de ses tatouages, dont un avec le prénom de son fils. Comme les aspérités de sa voix, oscillantes et attractives, Lou Doillon nous fait traverser les reliefs d’une parcelle de vie. Parfois son timbre se fait soufflant, susurrant, et puis, il part dans des contrées lointaines, gorgées de blues et de country. Un peu nasillard, assez profond et pour le moins atypique, avec une grande élégance comme sur l’excellent titre « Good Man ». Lay Low, un objet brut, nostalgique et sauvage, à l’image de son auteur, semble-t-il.

Le son 

Après Places en 2012 qui la plaçait immédiatement dans le rôle assumé de chanteuse et compositrice à l’univers folk à la fois introspectif et populaire, dont la production était assurée par Etienne Daho, Lou Doillon est allée encore plus loin avec ce nouvel opus. Lay Low, poussé par la patte affirmée de Taylor Kirk, reste dans des arrangements très épurés, ici savamment maitrisés pour une folk contemplative.

 

Lou Doillon (Facebook/Twitter)

Zélie Noreda (Facebook)

Yann Orhan (Site internet)

Lou Doillon, Lay Low, Barclay, 32 min, photographie cover par Lou Doillon, photographies du livret par Zélie Noreda, design par Yann Orhan.