Lomepal x Rægular – Flip


En 2017, en France, catégorie « rap – hip-hop », l’un des albums les plus attendus de l’année – celui de Lomepal, originaire du XIIIe – se trouve illustré par une photo du rappeur lui-même, travesti en femme. La démarche est aussi belle qu’étonnante, et témoigne de la dé-marginalisation (ou « popisation » ?) décidément croissante d’un genre autrefois connu pour sa faculté à envoyer de la testostérone partout où il était possible de le faire (sur scène, dans les clips, sur pochette), et qui tend, voilà une bonne nouvelle, à évoluer avec son temps.

Liberté

Lomepal, ou l’anti Booba (maquillage qui coule vs muscles qui saillent ?) Lomepal, ou le défenseur d’une problématique (celle du genre) qui ne le concerne pas directement mais qu’il souhaite faire-valoir tout de même, un peu comme Aznavour en 70, avec son morceau « Comme Ils Disent », l’histoire de cet homme travesti qui « vit seul avec maman », première évocation dans la chanson française d’une histoire homo traitée sans habillage burlesque  ? Apparences trompeuses : le but premier n’est pas là. Pour Flip, le Parisien a fait appel à Rægular, notamment auteur de la pochette de Cyborg de son ami Nekfeu, superposition du corps du rappeur et d’un sticker contenant les informations figurant d’ordinaire au dos de l’album, basé sur de solides références pop japonaises. Et le but initial, c’est d’abord de dire l’idée de liberté. Sa propre liberté. Rien d’autre.

« Antoine avait apprécié mon travail sur la pochette de Nekfeu (ndlr : mené avec le photographe Ojoz). Lui aussi, avait envie de camoufler son visage, mais d’une autre manière. Quand on en a parlé la première fois, il avait déjà une idée précise de ce qu’il voulait faire : se déguiser en femme. Dans le rap français d’aujourd’hui, il avait l’impression d’être le seul à pouvoir se permettre ce genre de trucs, et partir sur quelque chose de vraiment différent de ce que les autres peuvent proposer d’habitude. J’ai trouvé l’idée super. »

Nekfeu x Rægular x Ojoz – Cyborg

Par téléphone, Lomepal confirme l’idée : « au début, le but c’était vraiment : si j’ai envie de me faire déguiser en femme sur la pochette de mon premier disque, eh bien je peux, je m’en fous complètement. Je me détache de toute la crédibilité du rap français. Si t’es pas content, c’est pareil : moi je la trouve belle et voilà ! »

Almodóvar, Dolan, Gainsbourg

Dans la tête du rappeur, d’abord, il y a alors le très bon clip de Mac DeMarco « My Kind of Woman », dirigé par Alex Lill, un clip, qui a beaucoup tourné, et dans lequel le Canadien se trouve justement déjà travesti. Car pour Lomepal, si travestissement il doit y avoir sur la pochette de son premier album, celui-ci devra être ironique, burlesque, et ludique, avant tout. Mais Rægular a autre chose à l’esprit.

« On en a discuté tous les deux. Je lui ai donné d’autres références que j’avais en tête, des images plus sérieuses, qui auraient orienté la pochette vers quelque chose de moins « farce ». Les personnages de Pedro Almodóvar, le personnage principal de Laurence Anyways de Xavier Dolan…Je proposais que l’image que l’on allait faire ensemble soit belle. Et qu’elle donne l’impression que Lomepal ait essayé de se faire belle, de manière un peu maladroite.»

« J’ai fait quelques recherches, et j’ai fini par lui envoyer une interview qui parlait de la célèbre pochette de Love On The Beat, de Serge Gainsbourg, shootée par William Klein, où on le voit travesti, la clope en l’air. Dans l’interview, Gainsbourg a ces mots très forts. Il lui demande : « je veux que tu me rendes belle« . Ça a convaincu Antoine de partir, lui aussi, dans cette direction ».

Serge Gainsbourg x William Klein – Love On The Beat

Beauté triste

Le duo part alors sur l’idée d’une mise en scène plus mélancolique que ce qui était pensé à la base, loin du burlesque d’origine. « On s’est posé la question : est-ce qu’on entoure Lomepal d’autres filles, comme s’il s’était maquillé aux côtés d’autres copines ? On a abandonné le truc, et on a décidé de le représenter seul. On a aimé l’idée du maquillage mal fait. Quelqu’un qui aurait voulu se faire belle, mais qui se serait un peu loupé. Je me suis fait aider par deux copines stylistes, Alice et Valentine, qui m’ont aidé à faire du maquillage. Niveau fringues et bijoux ? Ce sont ceux de la mère d’Antoine ! »

Reste la question du titre du disque, que Lomepal a décidé d’appeler Flip bien avant de décider comment il allait falloir l’illustrer, et du lien avec cette photo à l’arrière-plan rose pale.

« L’album, nous dit Lomepal, je savais qu’il s’appellerait Flip, comme la figure de skate. Mais je ne voulais pas de skate sur la pochette. J’ai alors pensé au flip, dans le sens « identité sexuelle ». Je voulais montrer la douleur de quelqu’un qui se cherche, qui est mal dans la peau, et qui cherche des solutions pour aller mieux. Dans mon album, y a des moments très sombres, et d’autres très drôles. Je voulais partir sur un visuel qui mette un peu en avant ces deux idées-là. Sur la pochette, finit-il, ce n’est pas vraiment moi. C’est un concept. La pochette sert à traduire ce que dit un album, et non pas qui est l’artiste. »

Le son

« Cerveau cassé comme la voix de Janis », et un talent brut pour Lomepal fortifié depuis des années aux côtés de L’Entourage, et accompagné cette année d’une armada de producteurs (Superpoze, Stwo, Jean Jass, The Shoes, VM The Don) et de featurings (Camelia Jordana, 2 Fingz, Romeo Elvis, Caballero, Superpoze…) venus cumuler leurs talents respectifs sur un album qui enchaîne les phases de grosse dépression (« Yeux Disent ») et celles de gros bordel (« Pommade »). Flip permanent. Kickflip même.

Lomepal (Site officiel / Facebook / Twitter / Instagram / Youtube)

Rægular (Site officiel / Instagram / Twitter)

Lomepal, Flip, 2017, Grand Musique Management, 63 min., artwork par Rægular