Lady Gaga x Collier Schorr – Joanne


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Depuis ses débuts, stratosphériques et globalisant, sur la scène pop très très grand public il y a une petite dizaine d’années (plus qu’une décennie, on aurait plutôt dit un siècle, vu le poids de la jeune femme sur l’industrie du disque), l’évolution discographique de la prêtresse pop Lady Gaga est parfaitement indissociable de l’évolution de son allure vestimentaire, elle que l’on connaît quasiment autant pour ses tubes  à résonance planétaire (« Just Dance », « Poker Face », « Bad Romance », « Telephone », « Judas », n’en jetez plus c’est bon) que pour ses tenues toutes plus aventureuses les unes que les autres (robe transparente faite de bijoux, maquillage de tableau cubiste, look de cyborg des années 40, ou robe faite de viande, afin de dénoncer la cruauté des abattoirs – 2010, MTV Video Music Awards, gros scandale).

De Hedi Slimane à Jeff Koons

Excentricités vestimentaires et extravagances faciales, aussi et évidemment, sur ses pochettes de disques, que l’on pointe le regard sur celle, jet-set, de The Fame (signée Peter Henket et dans laquelle on a vu une référence aux magazines Vogue des années 70-80), celle rock et gothique de The Fame Monster (deux versions, toutes deux photographiées par Hedi Slimane), celle trashy de Born This Way (façon Sin City de Miller / Rodriguez, chez qui elle tournera d’ailleurs dans le deuxième épisode) ou celle plastique d’Artpop, œuvre du richissime américain Jeff Koons. Gros casting, grosse mise en scène, et très grosse manifestation d’une personnalité artistique qui compte sur la surenchère du « moi » (Gaga partout, tout le monde gaga) pour permettre au phénomène de s’amplifier chaque seconde davantage.

Lady Gaga x Peter Henket - The Fame (2009)

Lady Gaga x Peter Henket – The Fame (2009)

Joanne : la véritable Gaga ?

Compte tenu de cette mise en images jusqu’alors surchargée et travaillée avec une minutie, il faut bien l’avouer, remarquable (un collectif d’artistes, Haus of Gaga, est carrément en charge de la DA globale de la Lady, de ses tenues vestimentaires à son maquillage, en passant par ses coiffures ou sa scénographie live), l’allure de la dernière pochette de Gaga, celle de Joanne, a de quoi remettre en cause certains préceptes que l’on croyait pourtant durablement établis.

Car sur ce visuel-là comme sur celui du single Million Reasons, tous deux signés par le photographe Collier Schorr (très connu aux États-Unis pour ses portraits réalistes d’adolescents des deux sexes), il n’y a ni mimique ni mise en scène laissant supposer le bruit, la fureur, et les paillettes habituelles de gala que l’on retrouve d’ordinaire chez Gaga. Il n’y a pas de vêtements, non plus, et si l’on excepte ce chapeau rose claire, posés sur la peau d’une artiste qui laisse apparaître le contour de ses tatouages, et aussi sans doute, de manière volontairement allégorique, une partie, pour une fois, de son véritable « elle ». Le fond, aussi, est vierge de tout surmenage visuel. L’opposé parfait, en somme, de son dernier artwork (car l’album Cheek to Cheek, conçu avec Tony Bennett, est forcément à part) et du trop-plein pop-art proposé par Koons.

Lady Gaga - Million Reasons (2016)

Lady Gaga – Million Reasons (2016)

Gaga, icône « normale » ?

Déjà depuis quelques semaines, les magazines sérieux, les blogs à la première personne et les journaux généralistes avaient noté, certains avec craintes (les modeux d’abord) la mutation « anormalement normale » d’une New Yorkaise soudainement devenue, avec toute la réserve que la comparaison implique, semblable à n’importe quelle occidentale des années 2010, habillée, en public (et aussi en « privée », mais en 2016, cela revient au même) par des tenues ignorant l’extravagance et faisant la part belle à l’association tee-shirt noir / blanc – short en jeans – baskets grand public. Le crépuscule progressif, en ce sens, d’une idole modeuse.

La transition visuelle, la transformation même, est impressionnante. C’est aussi que celle-ci concorde avec le propos d’un album qui souhaite remettre la musique au centre du propos (ça paraît logique, mais chez Lady Gaga, ce n’était pas si évident), et se préoccuper de problématiques un poil plus cathartique que les précédents. « Joanne », en effet, c’est une triple référence. C’est le prénom de sa tante, décédée alors qu’elle était encore jeune adulte. C’est aussi son deuxième prénom, elle qui se nomme, non pas vraiment Gaga, mais Stefani Joanne Angelina Germanotta. Ce titre-là, enfin et afin de confirmer décidément ses connotations très familiales, réfère à ses parents, et à ce restaurant italien, le Joanne Trattoria, qu’ils tiennent tout deux au sein de la cité new-yorkaise. Après les excès en tous genres de la dernière décennie, et les critiques furieuses ayant accompagnées sont – affreux – album Artpop, une volonté de s’affirmer comme une Lady normale ?

Le son

Malgré des collaborateurs étiquetés « produits indés » (Kevin Parker de Tame Impala, Florence Welch de Florance & the Machine, Mark Ronson), qui auraient pu donner la sensation d’un revirement sonore, le nouveau disque de Lady Gaga se consommera une fois encore, plutôt, du côté de ceux qui souhaiteront accompagner les fins de soirées bien arrosées de tubes calibrés pour les ondes pas trop exigeantes et pour les oreilles pas trop attentives. Après l’horreur Artpop, réceptacle électro-pop franchement inaudible, ce Joanne fait sans doute un peu mieux. Mais se fait encore bien trop excessif et dépourvu de toutes nuances (dans le mélo au piano comme dans l’hédonisme électro, tout ça est bien kitchouille) pour pouvoir ambitionner autre chose qu’un public acquis à la cause de la Gaga depuis déjà un bon bout de temps.

Lady Gaga (Site officiel / Facebook / Twitter / InstagramYoutube)

Lady Gaga, Joanne, 2016, Interscope Records, photo par Collier Schorr, 47 min.