Kid Loco x Rémi Pépin — Born in the 60’s


Les années 60 ? C’est la pop, bien sûr, et le Pop Art, par extension. C’est Roy Lichtenstein, Andy Warhol et consorts qui jouent avec la société de masse, consumériste et capitalisante, et en proposent le miroir. Faire partie du moule… et le lacérer de l’intérieur ?

Roy Lichtenstein -Crying Girl (1964)
Roy Lichtenstein -Crying Girl (1964)

Les années 60, Jean-Yves Prieur (qui deviendra Kid Loco) y a grandi dans les traces luisantes des étoiles qui y ont émergé (Beatles, Stones, Presley, Floyd’s, Iggy), et même si c’est d’abord au sein du punk underground français qu’on l’a vu avancer (il participe à la fondation dans les années 80 du label Bondage Records, qui lance Bérurier Noir ou Ludwig Von 88), on ne brûle jamais tout à fait, à moins que l’on ne soit atteint de pyromanie post-traumatique, les idoles qu’on vénère durant les toutes jeunes années.

Alors, après la parution de plusieurs albums marqués par le sceau trip-hop / acid-jazz / downtempo depuis la fin des années 90 (les albums A Grand Love Story, Kill Your Darlings ou Party Animals & Disco Biscuits…), le producteur et musicien revient aujourd’hui sur ces années initiatiques, lui qui s’est lancé dans la constitution d’un album de reprises de la glorieuse décennie sixties. Born in the 60’s est le résultat de cette plongée dans le passé, un album qui passe sous la moulinette trip-hop des titres des Rolling Stones, des Temptations, de The Grateful Dead ou de Bobby Hebb.

Et niveau visuel, c’est de nouveau Rémi Pépin, collaborateur de longue date de Kid Loco et artiste porteur d’une carrière elle aussi humectée dans les eaux de l’underground — musicien dans le groupe punk Guernica, il fit partie du collectif Abattoir et gère la direction artistique des éditions Inculte — qui se charge de ce visuel que les deux compères nous racontent sur Néoprisme.

Kid Loco © Dov Adjedj

Tout d’abord, comment est née cette volonté de constituer un album de reprises de morceaux des années 60 ?

Kid Loco (Jean-Yves Prieur) : La force des choses. Certains titres ont été commencés il y vingt, quinze, cinq ans ou hier. J’aime bien faire des reprises, cela me repose. Le titre étant déjà là, je n’ai plus qu’à interpréter, arranger et mixer. Mais à un moment, je me suis dit, « pourquoi pas en faire un maxi 4/6 titres » ? Et comme la majorité des titres dataient des années 60, je me suis dit que c’était une piste à suivre. Et d’autres idées de reprises sont venues.

Kid Loco © Dov Adjedj

Sur quels critères t’es-tu basé pour établir cette sélection que j’imagine forcément crève-cœur ?

Kid Loco : Des morceaux que je peux chanter (et je ne suis pas un chanteur), des morceaux dont je me rappelle les paroles. Des morceaux que je peux jouer à la guitare ou au piano. Mais aucun critère de genre ou de style musical. C’est un peu l’auberge espagnole : il y a de la pop, du blues, du rock, de la soul…

Les années 60, dans ce cas-ci, sont donc liées au pop art. Pour quelle raison ?

Kid Loco : Les années 60 sont, à mon avis, totalement liées au mot Pop : le Pop Art, la musique Pop. Je ne suis pas spécialiste de l’art moderne, mais c’est effectivement le Pop Art qui vient en premier à l’esprit si l’on pense « peinture ». Ensuite, dans le domaine de la musique, la Pop a rapidement pris le dessus par rapport au Rock’n’roll.

Rémi Pépin : De mon côté, quand Jean-Yves m’a appelé pour la pochette, il m’a paru évident qu’il fallait jouer la cacophonie visuelle du Pop Art qui est, effectivement, le pendant pictural de l’explosion musicale du moment tant par sa richesse créative que par son rapport à la culture de masse.

Kid Loco, as-tu hésité à associer un autre genre pictural ou artistique à cette décennie ?

Kid Loco : J’adore Alfons Mucha. Il a été beaucoup pillé à l’époque par les artistes graphiques de la côte ouest américaine. Peut-être qu’un jour, je ferai une pochette dans ce style.

Alfons Mucha – Four seasons (1896)

Il y a des années, je jouais en République Tchèque et j’ai demandé à l’organisateur de m’emmener voir ses toiles de L’Épopée Slave. Je pensais que c’était à Prague. Que nenni, c’était dans la pampa à Český Krumlov. Pas de visiteurs, juste ignorée… Maintenant les toiles sont à Prague.

Alfons Mucha travaillant sur L’Épopée Slave (1920) © Wikipédia / Domaine public

Rémi Pépin : C’est vrai que ce serait bien qu’on fasse un genre de Mucha psychédélique sous influence Royal Belleville un jour.

Quel est ton rapport, « intime » disons, au Pop Art ?

Kid Loco : Je me suis entrainé à l’art mural grâce au Pop Art. À la fin des années 80, j’avais repeint ma cuisine avec deux reproductions de Lichtenstein.

Sinon, cela reste mon dernier attrait pour l’Art Moderne. Je suis plutôt style pompier, les peintres du Salon ou bien alors Vatican et pourquoi pas le préraphaélisme ?

Pourquoi le choix de Rémi Pépin pour cette collaboration ?

Kid Loco : Parce que c’est Rémi Pépin, qu’il est lui et que je suis moi, qu’il a fait quasiment tout le graphisme lié à Kid Loco et même avant. C’est un ami et il est talentueux. Pourquoi chercherai-je autre part ?

J’ai un cercle d’ami(e)s très talentueux : des DJs, musiciens, écrivains, cuisiniers, peintres, piliers de bar, etc. Et j’adore leur compagnie. Donc, je travaille avec eux dès que je le peux.

Rémi Pépin : Travailler avec Jean-Yves est toujours un bonheur tant les choses sont simples. Comme on est amis depuis très longtemps, il suffit la plupart du temps qu’on se parle, qu’on écoute les morceaux (en général ensemble) et je m’y mets. Il a des exigences élevées, mais moi aussi, donc ses retours sont toujours essentiels : ils affinent la création sans jamais la dénaturer. Il y a comme une sorte d’harmonie assez naturelle. 

Comment est née l’idée de proposer un artwork pour chacun des morceaux et comment avez-vous procédé pour les créer, ces artworks ?

Kid Loco : Il n’y a pas vraiment d’artwork pour chacun des titres, plutôt un artwork pour chacune des sorties digitales en tant que single et pour l’album. Donc, la demande vient de la maison de disque.

Pauvre Rémi, au début il ne devait il y avoir que trois singles… Mais bon, une fois que tu as l’idée, il faut décliner. Cela s’appelle une charte graphique et il s’y connait dans le domaine, le gars Pépin.

Rémi Pépin : À vrai dire, sachant qu’il y aurait une série de singles avant l’album, j’ai travaillé à l’envers : j’ai d’abord fait un grand collage destiné au vinyle, un peu comme une sorte de matrice, dont j’ai ensuite utilisé des éléments, des personnages, pour créer les visuels des singles. En bossant, j’avais en tête, Villeglé, Warhol mais aussi une bonne partie des pochettes des Happy Mondays.

Kid Loco (Facebook / Instagram / YouTube)

Rémi Pépin (Site officiel / Instagram)

Kid Loco, Born in the 60’s, 2022, Wagram Music, artwork de Rémi Pépin. 28 janvier 2022 chez Balagan Music / Wagram Music