John & The Volta x David Drake – Low Life


« Ta langue, le poisson rouge dans le bocal de ta voix ». La légende, forcément romanesque, murmure que c’est en tombant sur ces vers d’Apollinaire, surréaliste avant même que le terme existe, que Philippe Soupault, file de chef du mouvement qu’il fonda plus tard avec André Breton, eut la révélation poétique de sa vie. La langue, et la bouche par filiation, celle de la femme surtout, manifestation de l’amour, du désir, de la passion, de la sublimation, voilà, avec le recul que génère le passage d’un siècle entier, l’une des récurrences les plus iconiques du surréaliste, que l’on doive le considérer dans son expression littéraire (Éluard), picturale et design (Dalí), photographique (Man Ray), collagiste (Prévert), cinématographique (Buñuel).

Man Ray – Les Amoureux

Salvador Dali - Canapé Boca

Salvador Dali – Canapé Boca

« Ta bouche aux lèvres d’or n’est pas en moi pour rire »

Une bouche féminine, identifiable comme tel compte tenu de ses lèvres rougies, de ses dents blanches, des joues sans barbe contournant son anatomie subtile : la tentation d’identifier l’artwork du premier album de John & The Volta, signée par le très demandé designer David Drake (Glass Animals, Django Django, The 1975…) aux précurseurs surréalistes, est de ce fait, extrêmement grande. D’autant que ce visuel, s’il n’est pas un collage à proprement parlé, mais plutôt un « collage accessoire, accidentel » (on est dans le sujet), évoque directement, dans sa forme, les productions de Prévert, de Max Ernst, de Raoul Hausmann, et des 1 000 artistes qui imitent, encore aujourd’hui, l’art de la superposition d’images a priori contraires.

Consensus : John ne s’en serait pas directement référencé, au surréalisme, mais affirme tout de même y être largement sensible : « La place qu’y trouvent les femmes, leur sensualité, leur érotisme, et cette idée d’un art dicté par l’ inconscient, le lâché prise, me parlent forcément beaucoup. Cette part mystique de la musique compte beaucoup pour moi. Je n’ ai pas de problème à utiliser l’ abstrait et les expérimentations sonores pour créer des émotions. »

Les lèvres figurées par le New Yorkais David Drake, qu’elles soient dictées par des antécédents dadaïstes, ou simplement par quelques artworks issus d’un large catalogue post-punk (David et John s’en sont envoyé pas mal, histoire de se mettre d’accord sur une idée globale), s’avèrent pour leur part être l’illustration idéale de ce que suggère le son (la sensualité, le vertige, les sens confondus…) John : « Ces lèvres évoquent parfaitement la sensualité, la féminité de cet album. Ses déchirures renvoient à ses cicatrices. Les couleurs : le bleu des nuits durant lesquels je compose et enregistre la plupart du temps. et ces autres, fluorescentes, qui surgissent du dessous, l’ irréel et le fantasme. »

Continuité

David Drake, lui, avait déjà signé la pochette du premier EP de John & The Volta, Empirical, dont les couleurs et les formes incertaines résonnent très exactement avec celles, similaires, de Low Life : « Je sais rapidement si un visuel me plaît ou pas. Le plus difficile c’ est de dire à un artiste de talent comme David quand les maquettes ne me conviennent pas. La plupart du temps nous n’ insistons pas sur une idée qui ne nous séduit que moyennement. Nous en avons mis de coté un bon nombre. Mais dès que David à apporté cette photo tout s’ est accéléré. » Et ait né ce monstre sublime à bouche dominante, coloré de ce bleu vert qui inquiète sans doute autant qu’il séduit. Des symboles, encore.

hn & The Volta x David Drake – Empirical

Le son

Inscrit dans une esthétique qui rappelle autant la transition post-punk / new-wave du début des années 80 que les années 2010 et sa fusion, déstructurantes, de musiques électroniques, de R&B et de groove désincarné, le premier album de John & The Volta marque la confirmation, quatre ans après l’immense single romantique et addictif « Paralyzed », que les très bons albums de pop « vraiment » sensibles ne sont pas exclusivement réservés aux Anglo-Saxons, preuve en est, les titres « 20 », « Bad Dreams », « Low Light »... Low Life, et, dans le genre qui est le sien, un très grand disque.

John & The Volta (Site officielBandcamp / Facebook / Soundcloud)

John & The Volta, Low Life, 2017, Rouge Neon, 32 min., artwork par David Drake