James Blake x Sir Quentin Blake – The Colour In Anything


James Blake x Sir Quentin Blake - The Colour In Anything

Est-ce sur son invraisemblable pêche géante, plantée par mégarde après avoir fait tomber quelques langues de crocodile magiques, que James est sereinement posé ici, la silhouette grise et le regard confiant ? La pochette du dernier James Blake (The Colour In Anything, Polydor) est en tout cas illustrée par le dessinateur Quentin Blake (devenu « Sir » depuis son anoblissement en 2013), qui, s’il ne possède aucun lien de parenté avec son illustre contemporain, a en tout cas illustré, dans les années 60 et parmi d’autres ouvrages de Roald Dahl (le célèbre Charlie et la Chocolaterie, notamment), le livre pour enfant James et la Pêche Géante, dont le protagoniste central (le jeune James Henry Trotter) possède donc le même prénom que le soul pleureur, bidouilleur de machines et pianiste londonien. Coïncidence juteuse ou clin d’oeil (très) étonnant.

Quentin Blake - James abd the Giant Peach

Quentin Blake – James and the Giant Peach

James Henry et James Blake

Car si le trait de ce dessin-là est bel et bien enfantin (c’est la touche de l’illustrateur, grand émérite du dessin pour enfants), peu de risques tout de même que la référence soit aussi marquée. Surtout sachant le contenu des textes du Londonien, trop sérieux et trop traumatiques pour pouvoir tolérer une référence aussi candide. Alors, c’est sans doute plutôt sur une colline que le Londonien est positionné. Ou un amas de terre. Enfin quelque chose de surélevé, mais a priori pas une pêche mutante (il y en a peu du côté de Londres, ou même à Los Angeles, où il a habité un temps en coloc avec le MC Chance The Rapper). Derrière lui une mer calme, des arbres sans feuilles, et un ciel nuageux. Pas beaucoup de couleur, malgré ce que suggère le titre de l’album.

Loin du côté spectral de son premier album éponyme, mais proche finalement de la photo illustrant Overgrown (la position de James Blake, silhouette droite, main dans les poches, est la même sur les deux dernières covers), cette collaboration-là, le dessinateur l’a brièvement expliqué sur la BBC Radio 6 (James, lui, tient une émission mensuelle sur la BBC Radio 1), des propos relayés par le magazine britannique NME :

« Je suis une sorte d’illettré musical, bien que j’écoute beaucoup de musique. Je ne sais pas vraiment ce qu’il se passe. Cependant, je sais répondre à une atmosphère et James et moi avons, je crois, quelques idées similaires à propos de la manière dont nous imaginons notre musique. Bien sûr, le paysage que j’ai dessiné pour sa musique est bien différent de ceux que je réalise pour les enfants. Je ne suis pas sûr que James ait eu de l’effet sur le paysage que j’ai dessiné, ou que le paysage ait eu un effet sur lui, mais ça a été merveilleux pour moi de dessiner ces paysages nuageux et sombres et ces arbres étranges habités par des corbeaux et des jeunes femmes. »

Solitaires

Car effectivement, il est aussi question ici de jeunes femmes. Outre celles qui, dénudées et semblables à des déesses spectrales, sont devenues parties intégrantes des arbres dans lesquelles elles se perchent (il faut poster un oeil attentif sur l’artwork pour les découvrir), on croit ainsi deviner le pendant du personnage masculin, solitaire mais souriant tout de même, sur l’un des visuels accompagnant ce troisième album, où l’on voit cette femme, elle aussi solitaire, le regard tourné vers la mer et les paysages grisonnants. Ce sont Les Solitaires de Munch définitivement éloignés, mais songeant toujours aux mêmes horizons. Ce sont les détresses racontées par les plus grands romantiques du XIXe siècle, de Chateaubriand (via les mots) à Friedrich (via le pinceau). C’est que James Blake, dans l’imaginaire du noble illustrateur, et dans l’esprit de beaucoup d’autres (les plus sensibles), fait figure de membre émérite d’une confrérie de plus en plus exigüe : celle qui regroupe les derniers grands romantiques du siècle présent.

James Blake

James Blake - Sir Quentin Blake - The Colour In Anything

Edvard Munch - Les Solitaires (Nuit d'Été)

Edvard Munch – Les Solitaires (Nuit d’Été)

Le son

Sur son 3e album, pas forcément aussi coloré que ce qu’aurait pu laisser envisager son titre – The Colour in Anything – James Blake donne quelques élans pop – sur l’excellent « I Hope My Life » notamment – à ce mélange, persistent, de post-dubstep, de néo soul et de folk électronique, toujours d’une sensibilité absolue ici. Le prince James vogue dans son royaume. Et, comme ses sujets et ses vassaux les plus pertinents (de Deptford Goth à Fyfe, de William Arcane à SOHN, de Mura Masa à Chet Faker) s’y sent toujours magnifiquement bien.

James Blake (Site officiel / Facebook / Instagram / Twitter / Youtube)

Sir Quentin Blake (Site officiel / FacebookTwitter)

James Blake, The Colour In Anything, 2016, Polydor, 76 min., pochette par Sir Quentin Blake