Irène Drésel x Emmanuel Picq — Kinky Dogma


Une multitude d’Irène Drésel ouvre la voix vers un horizon qui ne semble pas avoir de fin. C’est une productrice française de musique techno qui chante sur ses propres boucles et qui dit, comme dans le film Midsommar d’Ari Aster qu’elle cite comme référence (une communauté hippie en Suède devenue une dangereuse secte), « soyez les bienvenus ». Il n’y a pas de porte mais c’est ouvert. On entre.

« Soyez les bienvenus »

Bienvenue ? Où ça ? Dans un monde où chaque parcelle paraît avoir été pensée, mesurée, patiemment équilibrée par celle qui l’a façonnée (Irène Drésel donc, dont le premier album Hyper Cristal était sorti en 2019), et où le dogme revêt une importance toute particulière. Comme dans ce « Club Saint Paul », espace libertin, naturiste et coquin dans lequel elle a travaillé plusieurs mois, où les logiques qui s’imposent en passant les portes du club ne sont plus les mêmes que celles appliquées à l’extérieur ? Peut-être bien. Entrez, qu’on vous dit.

Irène joue avec les mots, avec les sons, a pensé un univers où la techno se fait distante mais chaleureuse (c’est le charme si particulier des musiques électroniques), et où il semble effectivement, dès lors qu’on y a posé un pied, difficile de s’extraire. Ce n’est pas une secte ou alors, on n’y a vu une nouvelle fois que du feu. Comment ça, on ne peut plus sortir ?

Le Dieu et le Dogme

Dans ce disque, les soirées semblent se prolonger et les nuits se confondent avec les jours, de même que se dédouble jusqu’à n’en plus finir cette prêtresse en tenue d’apparat qu’Irène incarne sur cette pochette proposée par l’un de ses camarades de lycée et que l’artiste nous raconte car Dieu, qu’elle nous a marquée, cette pochette. Il y a un Dieu, il y en a plusieurs. Il y a le dogme, surtout. Irène Drésel :

Irène Drésel © Julia et Vincent

« KINKY est un terme anglais qui signifie « vicieux », « coquin », « pervers », « sexuel », « frivole ». DOGME est un mot qui vient du grec « dokeo » et qui signifie « je crois, je pense ». C’est l’opinion, la croyance.

La pochette de cet album représente mon personnage de scène démultiplié à l’infini. L’illustration a été réalisée par Emmanuel Picq, un ancien ami du lycée. Nous étions ensemble en Terminale Littéraire, option Arts Plastiques. 

Un des meilleurs dessinateurs de ma classe. Quelques années plus tard je suis tombée par hasard sur sa page Instagram et en parcourant ses dessins, j’ai eu l’envie immédiate de reprendre contact avec lui pour travailler ensemble sur la pochette de mon deuxième album.

Pour l’élaboration de cette illustration, j’ai souhaité qu’il retranscrive à la fois le côté éthéré du film Midsommar d’Ari Aster, où l’on plonge dans une communauté suédoise où des gens étranges vêtus de blanc portant des couronnes de fleurs se révèlent être une dangereuse secte d’illuminés, pratiquant des rituels d’un autre âge, et le côté plus sulfureux et austère de la scène du rituel du film Eyes Wide Shut de Kubrick.

Une scène surréaliste où de superbes femmes nues masquées se prosternent et s’embrassent devant un prêtre vêtu de rouge avant de se disperser en couple vers des orgies sexuelles d’une société secrète. 

Une plongée dans de l’étrange

Irène Drésel

Voilà pourquoi on est sur le fil entre paradis et gravité, une plongée dans de l’étrange. 

Debout pieds nus sur un parterre de fleurs et vêtue d’une sorte de peignoir doré, j’accueille l’auditeur d’un geste de bienvenue guidant vers un chemin de lumière et de fleurs.

Le fait d’être pieds nus marque l’idée d’un espace sacré. « N’approche pas d’ici, dit le Seigneur à Moïse, ôte les chaussures de tes pieds ; car le dieu où tu te tiens est une terre sainte » (Exode, III, 5). Plusieurs religions impliquent le fait de se déchausser. On se déchausse à l’entrée d’une mosquée. C’est le cas aussi pour d’autres religions comme le bouddhisme, où il faut impérativement retirer ses chaussures avant d’entrer dans la salle de prière.

Le côté immaculé de la pochette réfère aussi à l’installation One More Night de Tania Mouraud, une expérience psychosensorielle de l’espace que je me souviens avoir vécue au Musée d’Art Moderne de Paris. 

Tania Mouraud – One More Night

Tandis que l’accumulation de personnages féminins identiques me fait penser au travail fascinant de la photographe Vanessa Beecroft. Des tableaux vivants d’une inquiétante étrangeté. 

Vanessa Beecroft © Creative Commons

Ce disque est donc une invitation à l’écoute, comme une incitation à pénétrer dans un monde parallèle. La communauté des amoureux de musique électronique et techno, avec ses codes, ses croyances, ses secrets. Un chemin vers l’allégresse. L’album contient 14 morceaux sur le fil entre rythmes entraînants et frénétiques et mélodies plus obsédantes, voire dramatiques. »

Irène Drésel © Julia & Vincent

Irène Drésel (Facebook / YouTube / Soundcloud / Instagram)

Irène Drésel, Kinky Dogma, 2021, 61 min., artwork d’Emmanuel Picq

En concert au Trianon le vendredi 8 octobre.