Holeg Spies x Julien Pacaud — Axis Mundi


Un monolithe en lévitation dans un espace désertique où domine un sol aride, sec, menaçant. Au loin une colline, où l’on pourrait très bien grimper mais où il n’y aurait certainement pas grand-chose à voir, et au premier plan, celui via lequel on nous invite à rentrer dans cette image, un intérieur cloisonné, le genre abri atomique dans lequel les humains s’engouffrent, dans les films de science-fiction ou d’anticipation, lorsque le danger guette ou que le monde est passé en phase terminale.

Vue sur le monde

Ce monde-là, une silhouette l’observe, statique. Elle n’a que la peau sur les os mais au moins, elle en a encore une, de peau, bien que son corps soit linké à une machine siégeant à ses côtés. Elle semble reliée à quelque chose, au monde extérieur sans doute, ou simplement et comme le suggère le titre de cet album, à l’axis mundi, c’est-à-dire le pilier, le centre, l’arbre, le mont le plus élevé du monde qui exprime, au sein de certaines croyances, la connexion directe entre la terre et le ciel. Elle ne nous paraissait pourtant pas si haute, cette surélévation dans le fond. Alors l’axis mundi ici, est-ce cette machine à laquelle l’humain (ou l’humaine ?) est relié(e) ? Est-ce l’humain lui-même peut-être ?

Le compositeur et producteur Holeg Spies (25 années d’explorations musicales, et pas mal de boulot pour le cinéma), ces dernières années, est passé par les confins de l’Arizona — il y a rencontré la communauté des Indiens Hopi —, ou par les steppes mongoles où circulent les nomades et les cascades de poussières. Il y a trouvé des questions sur un monde dont l’opinion publique perçoit enfin les profondes mutations, et des réponses à remettre en cause, toujours, afin d’en trouver de nouvelles. Il a aussi trouvé dans l’œuvre de Julien Pacaud, artiste et illustrateur qui a lui aussi pas mal bourlingué, dans sa tête du moins, avant de se caler dans cet horizon-là (sa biographie souligne qu’il a tour à tour été joueur international de snooker, hypnotiseur et professeur d’espéranto), une résonance avec son propre travail et ses propres préoccupations.

Les collages de Julien, comme la musique ambient de Holeg, circulent dans le temps, tentent d’y pénétrer en poussant légèrement des portes et en dynamitant d’autres, avec une obsession en tête : celle de la très grande curiosité que l’on tente de calmer par la très grande activité.

Voici le premier cube

Julien Pacaud

« Pour prouver que Dieu est géométrie, elle s’est connectée à la machine et a commencé à reconstruire le monde avec des combinaisons de parallélépipèdes, de polyèdres, de sphères, de cônes, de cylindres, etc. Voici le premier cube. », nous dit Julien en poussant d’un coup l’une des portes d’entrée de son monde.

« Ce qui suit n’engage que moi car je n’ai pas souhaité communiquer avec Julien Pacaud sur la signification qu’il donne à son travail », nous écrit pour sa part Holeg Spies en marge de cette note d’intention qu’il nous a fait parvenir très vite, comme s’il se trouvait, lui aussi et comme le personnage mis en scène dans cet artwork qui illustre donc l’album Axis Mundi, confronté à une urgence imminente. Laissons-lui la parole, et laissons-le consulter, certainement en même temps que vous, le sens que son acolyte donne, pour sa part, à cette image qui formule l’idée de l’Après avec une poésie rance, préventive, inquiète.

Holeg Spies © Thierry Saint-Paul

« Cette œuvre cristallise l’ensemble des concepts que j’ai tenté de mettre en musique dans Axis Mundi. Tout d’abord, j’y ai retrouvé une référence aux illustrations de la littérature de science-fiction (notamment russe) des 70’s qui crée en moi un sentiment hors espace-temps. C’était hier, aujourd’hui… demain. L’espace-temps n’est pas linéaire. 

Cette vision coïncide avec le métissage d’instruments électroniques, ancestraux et classiques d’Axis Mundi. L’Humanité hyperconnectée, représentée par un exosquelette, est spectatrice d’un hors-monde. Un désert qui peut rappeler celui d’Arizona où j’ai passé beaucoup de temps avec les Hopis, voire le désert des steppes mongoles… 

Bien qu’il soit un environnement inhospitalier pour l’homme moderne, le désert m’évoque la vie invisible, la plénitude, un lieu propice pour prendre du recul et revenir à l’essentiel. Le retour à soi. Mais le désert évoque aussi un monde post-apocalyptique. Un monde qui appelle à une prise de conscience, à une reconstruction, qui rêve d’un nouveau paradigme symbolisé par ce monolithe carré.

Et, une lueur d’espoir. L’espoir du monolithe…

Holeg Spies

L’image de Julien Pacaud est aussi un constat de l’époque que nous vivons actuellement : ses enjeux environnementaux, l’effondrement potentiel du système devant lequel la majorité de l’Humanité reste spectatrice derrière ses multiples écrans. Et, une lueur d’espoir. L’espoir du monolithe… L’espoir de l’invisible cosmique et / ou de la sagesse ancestrale avec lesquels nous pouvons encore nous réconcilier pour vivre en harmonie. Finalement, se reconnecter à l’essentiel, à soi. C’est sans doute une utopie, de la science-fiction mais mon rôle en tant qu’artiste n’est-il pas de partager ma vision du monde et les rêves que j’ai pour lui ? »

Le son

Comment incarner le monde qui s’est dissous, et qui est en phase de se reconstruire ? Avec une musique minimale, ambient comme on le dit, qui s’emplit au fur et à mesure que se développe cet album nommé comme la première pierre du grand renouvellement. Le monde est tombé mais que l’on se rassure : le prochain prendra davantage son temps pour tirer ses propres conclusions, et a déjà son grand architecte pour penser ses fondamentaux les plus importants.

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Julien Pascaud (Site officiel / Instagram)

Holeg Spies, Axis Mundi, 2019, Cinetiks Music, 39 min., artwork par Julien Pascaud