Heimat x Alexandre Lobanov – Heimat


Heimat x Alexandre Lobanov – Heimat

Réutiliser le travail déjà existant d’un artiste afin d’en faire la pochette de son album. Le procédé, fréquemment utilisé, et pas toujours par paresse (récemment : Von Pariahs avec Théo Mercier, The Madcaps avec Martin Parr, Feu ! Chatterton avec Odilon Renon, Paon avec Jérôme Bosch…), l’est aussi aujourd’hui par les deux membres d’Heimat, Armelle (Badaboum, The Dreams) et Olivier Demeaux (Cheveu), qui ont vu dans le travail du Russe Alexandre Lobanov un reflet idéal de ce qui est proposé par ce premier album éponyme, radical, tribal et industriel, 15e parution du label Teenage Menopause.

Le goût des autres

François, justement cofondateur du label avec Elzo Durt (le célèbre graphiste belge en charge, notamment, de la plupart des artworks chez Bord Bad), joint par mail :

« Nous avons choisi cette œuvre de Lobanov tout simplement car nous aimons beaucoup son travail et qu’il collait à l’esprit général du disque. Nous sommes des passionnés d’illustration, de bande dessinée indépendante et aussi d’Art Brut. Forcément, le travail d’Alexandre Lobanov nous parlait depuis longtemps. On a alors dû solliciter les ayants droits pour pouvoir utiliser l’image. Ce fut pour le coup, assez étonnant, mais nous avons bénéficié de l’aide des gens de la galerie Treize à Paris qui ont fait jouer de leurs relations. »

Un cas unique dans l’histoire, récente quoique déjà importante, du label fondé en 2011 par le duo franco-belge, plutôt habitué à regarder dans son entourage proche que dans celui d’autrui :

« Généralement, nous sollicitions, après en avoir discuté avec les groupes, des artistes dont nous aimons le travail pour réaliser les pochettes de nos disques. Parfois, il s’agit même d’un membre du groupe lui-même comme Pierre Tatin pour Catholic Sray ou bien Luca Retraite pour Ventre De Biche»

Mais alors, pourquoi utiliser l’image d’un autre lorsque l’on compte dans ses rangs rapprochés un artiste aussi prolifique et talentueux qu’Elzo Durt (La Femme, Le Prince Harry, Cheveu, Francis Bebey, Frustration…) ? Peut-être parce qu’« heimat », dans la langue de Kraftwerk, renvoie à l’idée d’ « habitation », ou de « maison ». Et que l’on en voit une, de maison, en arrière-plan de Pomponia Kalashnikova, l’œuvre originale de ce Lobanov. Et que c’est justement sa maison (ou même ici, symboliquement : sa civilisation), grandement menacée, qu’il semble bien vouloir défendre, cet Aztèque d’un autre siècle dessiné souriant et menaçant par Lobanov, comme si celui-ci devait marquer ici une réécriture de l’histoire, celle qui aurait compté le jour où les Aztèques se seraient retournés contre ses envahisseurs ibériques au lieu de voir la plus grande partie du continent basculer sous le joug de la colonisation espagnole…

Alexandre Lobanov - Pomponia Kalashnikova

Alexandre Lobanov – Pomponia Kalashnikova

Aztèque et machine gun

L’aztèque pour les rythmiques tribales, et la machine gun pour les productions industrielles : le travail de Lobanov, habile mélange de codes propres à l’iconographie des années soviétiques et des reflets, forcément désorientés, de son état psychique handicapant (les séjours en hôpital psychiatriques ont été pour lui assez nombreux…), disent aussi l’ambiance d’un disque qui dit l’existence d’un habitat où, paradoxalement, on se sent à la fois sacrément menacé, et en même temps bien en sécurité…

Le son

Dans cet habitat-là : des histoires narrées dans un Allemand élégant, des mélodies pop (comme populistes ?), des samples ethniques, des rythmiques tribales, et globalement, une esthétique punk qui sent le renfermé et l’ouverture d’esprit pleine de bonnes idées. On le disait, « heimat » veut dire « maison », « foyer », « résidence ». On pense plutôt ici à un logement social, genre de baraque étroite à l’intérieur de laquelle les résidents n’auraient certainement pas de papiers tout à fait en règle. Sans doute aussi parce que ceux-là refusent toute idée de frontières.


Heimat (Facebook / Bandcamp)

Heimat, Heimat, 2016, Teenage Menopause Records, 35 min, pochette issue de l’oeuvre d’Alexandre Lobanov