Goat Girl x Toby & Evans-Jesra — On All Fours


Quatre figures titanesques (dans le sens premier du terme, puisque celle-ci ont vraiment la taille de titans mythologiques), dominent un panorama dans lequel défile un flow incessant de figures monstrueusement grotesques. Peut-être sont-ils même plutôt cinq, ces titans, puisque l’un d’eux est doublé comme le seraient les deux sommets pointus d’une même montagne. Enfin quoi qu’il en soit, en amont, ça défile, et on imagine rien qu’à regarder la scène la clameur incroyable que la curieuse assemblée doit émettre.

Miyazaki chez Jérôme Bosch

Ici on trouve de tout et surtout, de n’importe quoi : des personnages au cou immense, aux figures de clown flippant, aux dents acérées, aux corps mal formés. Certains viennent tout droit des profondeurs de la terre (celle-ci est ouverte, et laisse entrevoir un espace qui rappelle les couleurs de l’Enfer), d’autres semblent venir de plus loin encore, tous se dirigent vers une seule et même entrée, celle qui mène on ne sait où (l’image ne le dit pas) mais dont l’entrée a pris la forme d’un corps à trois têtes (orange, bleue, rouge) et qui est en train de vivre une fécondité inversée, c’est-à-dire que plutôt que de libérer l’enfant sur le monde des vivants, il en accueille de nombreux autres à l’intérieur de lui-même. Le genre de scène que l’on pourrait trouver dans des peintures de Jérôme Bosch (pour les médiévistes) ou dans les films d’animation d’Hayao Miyazaki (pour les miyazakistes).

Jérôme Bosch – Le Jardin des Délices

C’est une cérémonie monstrueuse qui ne porte pas de nom (comme hier, avec ce tableau signé Miguel Casarrubios ?) mais qui illustre un disque, celui que sortent en ce mois de janvier les membres de Goat Girl, projet d’abord orchestré par une tête pensante (Lottie Cream) mais qui a désormais décidé de partager, sur ce second album (le premier en date, éponyme, avait eu en 2018 son petit succès), l’aspect création pure du disque avec les trois autres membres du groupe. D’où les figures qui dominent ici ? Nous y sommes.

Goat Girl x Miguel Casarrubios — Goat Girl (2018)

Monstrueux

Quatre cerveaux et une armée d’idées, bizarres et délurées, qui en sortent, et qui forment en se cumulant un petit monde en soi, peuplé de formes et de couleurs variantes, monstruosités que l’on jurerait extraites du fin fond des Enfers (parmi toutes ces formes, des boucs et des personnages à cornes le rappellent directement, cet Enfer vu par les Chrétiens, du Moyen Âge surtout). Voilà, ce sont les bas-fonds du monde physique et spirituel ou alors, c’est le genre d’arc-en-ciel qui se compose lorsque l’on permet à des esprits aussi complexes d’exprimer leur créativité bizarre au sein d’un seul et même écrin.

Goat Girl © Holly Whitaker/Rough Trade Records

Le son

Jadis essentiellement piloté par Lottie Cream, le projet Goat Girl (pop devenue psyché, synthétique, folkeuse, transcendée, et surtout plus électronique) l’est désormais par les quatre cerveaux qui le composent, hydre quadrupède qui a décidé de soigner, via la pop, les tracas qui végètent à l’intérieur de la tête. Gros programme pour chouette disque, produit par un expert de la pop anglophone (Dan Carey, producteur de Kate Tempest, Black Midi, Franz Ferdinand…) et qui permettra de danser sur les décombres non-avoués de ses propres névroses, dans l’étroitesse d’un appartement du sud de Londres (là où le disque a été produit) ou dans l’espace propre aux grands festivals en plein air (là où cette musique a le plus de chance de fonctionner).

Goat Girl (Site officiel / Facebook / YouTube / Instagram / Twitter)

Goat Girl, On All Fours, 2021, Rough Trade Records / Beggars Music, artwork by Toby &  Evans-Jesra