FUJI||||||||||TA – Kōmori


Yosuke Fujia (alias FUJI||||||||||TA) est un artiste à part. Depuis 2009, cet artiste sonore japonais crée une musique très expérimentale à partir de divers phénomènes naturels afin de faire entendre des sons que l’on n’a pas l’habitude d’entendre. Il est devenu expert dans la pratique d’un instrument qu’il s’est mis à fabriquer lui-même (et visiblement, sans aucune connaissance préalable dans le domaine) : l’orgue à tuyaux, un orgue joué à l’aide d’un ou de plusieurs claviers.

Écholocations

Et comme si être le joueur d’un instrument aussi complexe ne suffisait pas, le compositeur s’est lancé ces derniers mois dans la captation… de l’écholocation de la chauve-souris, un son inaudible pour les humains mais qui permet à certains animaux (comme la chauve-souris donc mais aussi le marsouin) de localiser des proies potentielles. Un artiste à part, on le disait.

Ces écholocations, mêlées aux sons de l’orgue et regroupées sur l’album Kōmori, FUJI||||||||||TA s’y est intéressé afin de répondre à l’appel du label Boomkat et de sa série “Documenting Sounds”, lancée au moment de la crise du Coronavirus. “Nous avons encouragé les artistes à expérimenter avec des enregistrements de terrain (…) tout ce qui semblait approprié et réel« , dit le label. Une manière d’encapsuler une infime partie du monde que l’humain habite mais qu’il n’écoute quasiment jamais.

Les chauves-souris furent les porteuses, au cours des dernières années, de nombreux virus (comme Ebola, Nipah et Hendra) et ce constat fut la base de la réflexion de FUJI||||||||||TA. Et comment capte-t-on l’écholocation de ce genre d’animal ? En partant directement à sa rencontre, dans une grotte nichée sous le mont Fuji, en l’occurrence. Son unique arme ? Un microphone Sunken CO-100K capable de capturer les émissions ultrasonores et les battements d’une colonie de chauves-souris.

Le résultat de ces expériences est d’abord sorti en format cassette, accompagné d’un livret qui se caractérisait par sa sobriété graphique. “kōmori” (“c​​hauve souris” en japonais) y est écrit avec une sorte de simple Helvetica couleur vert d’eau et est parsemé de quelques tildes évoquant les sons étranges des chauves-souris, sorte d’ondes sinusoïdales.

Plus imagée, la version vinyle (remastérisée en juin 2021 par Rashad Becker), dévoile une pochette sur laquelle se déploient des formes abstraites (des courbes, des rectangles, des carrés, des géométries fluides), des aplats de couleur magenta et noir aux formes vaporeuses, irrégulières. Elle fourmille de silences et de zones bouchées, et évoque sans aucune littéralité l’austérité, l’asymétrie et l’abstraction dans lesquelles FUJI||||||||||TA nous transporte avec ses quatre  pistes qui s’écoutent comme un voyage au cœur d’une montagne mystique et de cette caverne habitée par ces chauves-souris et leurs cris vacillants.

La pochette intérieure qui enveloppe le vinyle, elle, est nettement plus figurative. Une photographie laisse entrevoir une petite maison dans la brume au bord de la route. Au revers, la grotte est photographiée depuis l’intérieur, à la lisière de son entrée. Au centre des roches humides et mousseuses (on y entendrait presque l’eau perler, comme on peut l’écouter sur la dernière piste) on devine une figure humaine, très certainement l’artiste lui-même, lui qui peint dans cette caverne un monde d’échos où l’inaudible se révèle à nous comme une musique sacrée, une véritable pièce contemplative immergée au cœur du monde secret des animaux.

FUJI||||||||||TA, Kōmori, 2021, Boomkat Editions, 39 min.